Accueil Édition Abonné «Le RN a des candidats qui ne correspondent pas à la caricature qu’on en fait depuis des années»

«Le RN a des candidats qui ne correspondent pas à la caricature qu’on en fait depuis des années»

Entretien avec Vincent Coussedière, candidat RN aux législatives dans la 6e circonscription du Bas-Rhin


«Le RN a des candidats qui ne correspondent pas à la caricature qu’on en fait depuis des années»
Vincent Coussedière. DR.

On a connu Vincent Coussedière comme penseur ou philosophe nous parlant des thèmes du populisme, de la nation ou de l’assimilation dans des essais ou dans les colonnes des journaux. Le voilà candidat à la députation en Alsace. Entretien.


Causeur. Dans une tribune publiée récemment par Valeurs actuelles, vous estimez qu’en prononçant la dissolution de l’Assemblée, Emmanuel Macron a fait voler en éclat une opposition artificielle entre les questions nationales et les questions européennes. En somme, observant les résultats le 9 juin, le président aurait constaté que les citoyens français voulaient que l’on cesse de parler de cette Europe un peu abstraite, et qu’on en revienne aux questions plus strictement nationales ? A-t-il bien fait de redonner la parole au peuple, selon vous?

Vincent Coussedière. Concernant la situation du président, je ne suis pas sûr que redonner la parole au peuple aboutisse à ce qu’il aurait voulu…

La macronie s’est embourbée dans des contradictions terribles. Cette séparation entre les questions nationales et européennes durant la campagne n’avait aucun sens. L’Europe est faite par des nations, par des traités, et donc parler des questions européennes, c’est parler des questions nationales, et inversement, non ? En faisant cette dissolution, Macron se contredit complètement, il dramatise le sens national du scrutin alors qu’il nous disait qu’il ne fallait surtout pas le faire !

La logique institutionnelle ne le forçait pas du tout à dissoudre. Emmanuel Macron aurait pu le faire éventuellement à l’automne, il n’y avait rien qui l’obligeait à le faire maintenant.

De son côté, en réclamant la dissolution, le RN était dans sa propre logique d’opposition, d’alternative véritable. Emmanuel Macron a voulu renverser la table. Il a voulu piéger le RN, en  disant : vous avez fait monter la pression, vous allez voir, vous n’êtes pas prêts, vous ne serez pas capables de gouverner et de vous organiser à temps, et donc je vais vous prendre au mot, etc. Du Macron tout craché !

Il y a aussi des observateurs qui disent qu’il en avait surtout assez d’avoir une majorité relative, et qu’il tente un coup de poker. « La France à quitte ou double » titrait Le Point.

Certes, mais c’est bien cela qui est très inquiétant. C’est la politique de la terre brûlée ! Après moi, le déluge ! Nos journaux sont pleins de rumeurs sur les gens qui travaillent autour du président. Et je pense qu’effectivement, ça se passe vraiment très mal, que c’est très difficile pour eux. Il y a des tensions énormes dans le camp présidentiel, Emmanuel Macron a pris tout le monde au dépourvu autour de lui. Bardella, de son côté, semble beaucoup plus cohérent. Il dit qu’il acceptera d’être Premier ministre, mais seulement avec une majorité absolue…

Pour aller dans votre sens, d’éminents membres de la majorité, comme l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne, estiment qu’en effet, le président pouvait très bien gouverner. La preuve, c’est qu’il y a des textes importants qui ont pu être votés, comme la réforme des retraites, la loi immigration, le budget…

Absolument.

Est-ce qu’il n’y aurait pas alors une explication plus psychologique, irrationnelle, dans le choix de dissoudre ? Un affolement ? Une « fuite en avant » comme disent les psys ou la presse féminine?

Je dirais qu’il y a une explication à la fois psychologique et idéologique.

Psychologique, d’abord, parce que chez Emmanuel Macron, il y a toujours eu ce côté « poker », joueur, recherche de la limite. Mais il y a aussi le côté idéologique, c’est-à-dire que le président entend pousser jusqu’au bout la logique de la montée aux extrêmes, quitte à mettre le pays dans une forme de chaos.

Quoi qu’il en soit, après vous avoir connu comme penseur, comme philosophe parlant des thèmes du populisme, de la nation ou de l’assimilation dans vos essais ou dans les colonnes des journaux, vous voilà candidat ! Qu’est ce qui a motivé votre choix de vous engager politiquement ?

C’est une évolution qui remonte à quelques années. Le Rassemblement national m’invite depuis longtemps à des conférences. Je fais partie par ailleurs de Campus Héméra, l’école de formation des cadres et militants dirigée par Jérôme Sainte-Marie, où j’ai donné cours et conférences sur l’assimilation. Je suis également intervenu au Parlement européen devant le groupe Identité et Démocratie, ou lors d’un colloque à Paris sur le wokisme. On ne m’a jamais  imposé quoi que ce soit à l’avance, j’ai toujours eu une totale liberté d’expression.

Ce sont des gens curieux, qui s’intéressent à vos analyses et qui m’ont tendu la main, très loin de la vision fantasmatique qu’ont encore beaucoup de gens du RN. De mon côté je me rends à l’invitation de n’importe quel parti pour faire des colloques, pour faire des conférences, notez bien… Mais il se trouve que c’est le RN qui m’a invité.

Comment avez-vous obtenu votre investiture auprès de Jordan Bardella?

J’avais déjà manifesté ma disponibilité pour les élections européennes, mais il y avait très peu de places. Est-ce que vous seriez intéressé en cas de dissolution ? m’avait-on demandé. Je n’y croyais pas. Et je ne pensais pas que Macron ferait cette erreur.

Lors d’une campagne pour les législatives, vous êtes beaucoup plus exposé que pour les européennes. Cela suppose vraiment de mouiller la chemise, d’être sur le terrain, de rendre public tout ce que vous faites. Mais, le mandat de député, représentant de la nation, est finalement à mes yeux plus prestigieux encore que celui de député européen ! J’en serai beaucoup plus fier si je suis élu.

Mais vos électeurs potentiels vous connaissent peut-être encore mal…

J’enseigne dans le secondaire, la philosophie, aux lycéens. J’ai enseigné aussi la culture générale aux étudiants qui préparent l’ENA. En politique, j’ai été 12 ans conseiller municipal et délégué à l’intercommunalité, dans un village, Geishouse, une petite commune de 500 habitants dans le sud de l’Alsace, dans le Haut-Rhin. J’aime bien les choses concrètes et j’aime bien l’échelon de la commune qui est vraiment un échelon de démocratie directe, sans qu’on se préoccupe d’étiquette politique.

Ma position actuelle n’est pas forcément très confortable, parce que c’est ce qu’on appelle un « parachutage »… J’habite en Alsace, mais pas dans la circonscription. M. Steinbach, le candidat de 2022, m’a donné tout de suite les contacts locaux pour travailler sur le terrain, et je l’en remercie.

J’observe une certaine confusion, lors de mes réunions, concernant les compétences du député, du conseiller régional, des conseillers départementaux, du maire, etc. Et les élus sortants jouent beaucoup là-dessus. Ils jouent beaucoup sur « je suis proche de vous », « je vais faire ça pour vous avec ma baguette magique » alors qu’ils n’ont pas les compétences de ce qu’ils promettent ! Beaucoup de choses relèvent de la région, ou relèvent du département. En Alsace, en plus, il y a le contexte particulier de la collectivité européenne alsacienne qui a fusionné les deux départements… Donc j’explique aux électeurs que je rencontre qu’il s’agit avant tout dimanche d’une élection nationale.

Et justement, quelle est votre position sur l’évolution de l’Alsace?

Le RN est le plus crédible là-dessus. Nous avons en Alsace une identité régionale forte. Mais, la nation jacobine qui menacerait les régions, les identités régionales, ce n’est plus vraiment d’actualité. La nation peut, au contraire, être protectrice de la diversité des régions. Protectrice d’une mondialisation et d’un européisme qui est beaucoup plus destructeur, notamment par le biais de l’immigration de masse.

Oui, il faut sortir l’Alsace du Grand Est. Mais, le RN remet en cause le découpage des régions depuis 2015. LR n’a pas toujours dit ça, même si c’est devenu un mot d’ordre important pour eux aussi. Macron, de son côté, a louvoyé sur la question. Il est venu à Strasbourg en avril, affirmant que la collectivité européenne d’Alsace, cela suffisait et qu’on allait en rester là… Éric Woerth lui a rendu fin mai un rapport sur la décentralisation qui va dans le même sens. Et voilà qu’après la dissolution, Macron nous fait un discours où il rouvre la porte. Ah mais les régions, quand même, elles sont peut-être trop grandes, et il faudrait peut-être quand même fusionner les compétences du département et de la région, etc…. Comme d’habitude, il dit tout et son contraire.

Votre pari de rejoindre le Palais Bourbon n’est pas gagné. La dernière fois, votre adversaire, la députée sortante macroniste Louise Morel, a été élue avec 56% de voix. Elle rêve d’une parité intergénérationnelle (comme pour la parité hommes/femmes). Avez-vous lu son livre?

Absolument, ce n’est pas gagné mais c’est gagnable !

Je vous avoue que je n’ai pas lu son livre, les délais sont très courts lors de cette campagne. Vous n’imaginez pas ce que c’est qu’une campagne législative anticipée, tout ce qu’il faut fait en 15 jours au niveau administratif, juridique, financier. J’ai eu la tête sous l’eau pendant 10 jours, et pas pour des questions philosophiques ! Mais, Louise Morel est typique de la macronie avec ce genre de problématiques un peu dérisoires, parité intergénérationnelle, patati patata… Et politiquement, elle n’a pas vraiment de colonne vertébrale, à l’image de ses mentors, Macron et Bayrou, on est dans le « et en même temps », en réalité dans la confusion. Sa position sur la sortie de l’Alsace du Grand Est ne fait que refléter les louvoiements de ses patrons.

J’imagine que vous voyez l’arrivée d’un gouvernement Bardella aux responsabilités comme une solution à la décomposition en cours de la France que vous déplorez dans vos articles. Mais, vos adversaires voient eux l’arrivée du RN au pouvoir comme susceptible de susciter de nouveaux troubles (troubles sociaux, troubles dans les banlieues peut-être). Qu’est-ce que vous répondez aux citoyens qui ont ces inquiétudes ?

Je leur réponds qu’on n’a pas le choix. Je comprends que des gens aient peur. Mais ils devraient avoir encore plus peur de continuer dans une fuite en avant qui nous pousse vers l’abîme. Dans bien des domaines, que ce soit l’immigration, l’insécurité, l’éducation, on est dans une situation très compliquée. Et il est évident qu’il va être très difficile d’inverser la vapeur et l’inertie de processus historiques qui est immense. C’est vraiment un moment historique que l’on vit. C’est comme 1958. Je commence d’ailleurs mes réunions publiques en disant qu’il y a une gravité dans le pays qui est de l’ordre de 58. Le RN, à mon avis, est la seule force qui peut canaliser ce moment révolutionnaire dans des voies réformistes. Et sans violence. Il est là l’enjeu.

Dernière question. Aujourd’hui, c’est votre dernier jour de campagne, qu’est-ce que vous allez faire?

Ce soir, je fais ma dernière réunion publique. A Marlenheim, sur des terres un peu plus favorables à Macron, pour me faire connaître et montrer que le RN a des candidats qui ne correspondent pas la caricature qu’on en fait. Pas sulfureux. Pas « nauséabonds » ! Des gens normaux, mais inquiets et effrayés par la situation du pays.

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Rédacteur en chef du site Causeur.fr

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