Au Muséum d’histoire naturelle de Paris (qui est le centre du monde, à l’instar de la gare de Perpignan) il existe un endroit triste et prodigieux : la salle des espèces menacées ou disparues. La collection, de plus de 250 spécimens naturalisés, comporte un couagga (sorte de zèbre trapu aux rayures rousses), un cerf de Schomburgk (dont le dernier mâle a été abattu – le saviez-vous ? – en 1932 par un officier de la police du Siam) ou encore une tortue de l’île Rodrigues (dont la chair a trop longtemps servi à rassasier les marins). La promenade est noble et nostalgique, et je la conseille à l’homme de goût. Dans les intimidantes vitrines climatisées les espèces éteintes regardent passer les humains – toute la journée – avec une indifférence lasse, parfois teintée d’acrimonie. J’y étais encore hier, et j’ai perçu un certain malaise. Le cerf de Schomburgk et le couagga avaient du apprendre que l’homme était en train de se rendre à nouveau coupable de l’extinction d’une espèce : le rhinocéros de Java.
L’association WWF indiquait hier que cette espèce, appelée aussi rhinocéros de l’île de la Sonde, avait presque disparu. La carcasse retrouvée en avril 2010, avec une balle dans la patte et la corne coupée, dans le Parc national Cat Tien, situé au sud du Vietnam, s’avère bien être celle de son dernier représentant dans le pays. Thi Minh Hien, responsable local de l’association a précisé : «Une protection insuffisante de la part du parc a été en fin de compte la cause de cette extinction ». En effet, depuis des années les braconniers abattent sans vergogne ces animaux protégés pour faire commerce de leur corne d’ivoire aux vertus prétendument médicinales et aphrodisiaques. C’est donc la croyance humaine en des poudres de perlimpinpin charlatanesques, et son exploitation mercantile, qui a causé la disparition au Vietnam du malheureux rhinocéros de Java. Le braconnage qui met aussi en danger d’autres espèces de la région telles que l’éléphant d’Asie, le saola du Vietnam, le rhinopithèque du Tonkin ou encore le crocodile du Siam. Laisserons-nous s’évanouir dans l’histoire de la zoologie des animaux aux noms si poétiques ?
Le WWF précise que le rhinocéros de Java, malgré la poignée d’individus qui subsiste dans un parc indonésien, est en danger très critique d’extinction totale. Il ne devrait bientôt plus rester de lui qu’un souvenir, quelques images et le nom. Dans quelques années, quand la prodigieuse salle des espèces menacées ou disparues du Muséum national d’histoire naturelle accueillera la dépouille naturalisée du dernier de ces mohicans asiatiques, il ne nous restera que remords et regrets ; et l’angoisse que demain, la faune triste finisse par se réduire à l’homme, sa femme, le cheval de trait, l’employée des Postes, le caniche vulgaire, le chat commun et le berger allemand. Vivons d’exotisme !
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