Sorte de gnou à la tête trop lourde pour son cou chétif, le catoblépas est un animal mythique si stupide, et à l’horizon si borné, qu’il en arrive à se dévorer lui-même. Flaubert en fit, pour cette raison, le symbole d’une forme particulière de bêtise. On croyait la bestiole disparue mais, depuis quelques années, elle semble avoir trouvé une seconde jeunesse. On l’appelle désormais « progressisme », et sa bêtise n’a toujours d’égale que la rage qu’elle met à se dévorer elle-même dans une frénésie ahurissante d’auto-contradiction.
Prenons l’antiracisme. Depuis quelque temps, sous l’inspiration de délires venus d’outre-Atlantique, nous avons vu les mouvements antiracistes réhabiliter la notion même de race puis, emportés par la rage de l’entre-soi, défendre et promouvoir la mode des « safe-spaces », ces espaces réservés à des personnes d’une certaine couleur ou d’un certain « genre » pour leur permettre de se sentir à l’aise. Plus récemment, grâce à Mme Aïssa Maïga, nous avons découvert que le comble de l’antiracisme chic consiste, lorsqu’on entre dans un lieu quelconque, à y compter les Blancs et les Noirs. Encore deux ou trois ans et, sous la pression des associations antiracistes, nous verrons apparaître dans les bus et les métros des espaces séparés, réservés selon les « races »… Rosa Parks, réveille-toi, ils sont devenus fous !
Folies américaines
Voyons le féminisme. Le spectacle y est dantesque. On savait déjà que, pour certains mouvements, le summum du féminisme consiste à défendre et promouvoir une vision sexiste de la femme, considérée comme ontologiquement impure et pécheresse et donc sommée de se dissimuler… Mais depuis quelques temps, il y a du nouveau. On assiste désormais à une lutte à mort entre d’autres catégories de féministes : celles dites « inclusives » qui veulent mêler à leur combat celui des droits des transgenres et autres LGBTQWERTUIYOP+, et celles qui considèrent que tout porteur d’un zizi doit être ipso facto exclu des combats et des espaces réservés aux femmes. C’est ainsi que, tout récemment, trois jeunes filles du Connecticut ont engagé une procédure pour obtenir que les transgenres – ici, des personnes à anatomie et carrure masculines – ne soient plus autorisées à participer à des compétitions sportives féministes. Ces jeunes filles, battues par des transgenres, ont fait valoir qu’il y avait là une inégalité de traitement qui les avait pénalisées et leur avait fait perdre des opportunités universitaires (car, aux USA, des résultats sportifs marquants peuvent vous ouvrir les portes d’universités réputées). L’association d’athlétisme scolaire du Connecticut a répondu qu’elle avait agi en parfaite conformité avec une loi de l’état stipulant que tout élève doit être traité conformément au genre dont il se revendique. Pour l’instant, on en est là.
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Dans le même esprit, toujours aux USA, un condamné a pu obtenir d’être enfermé dans une prison pour femmes en faisant valoir qu’il se reconnaissait comme transgenre, bien que son anatomie fût restée masculine. Une fois sous les verrous, il s’est livré à un certain nombre d’agressions sexuelles sur des codétenues, jusqu’à ce que l’affaire arrive finalement devant la justice, après quelques tentatives d’étouffement. L’avocat du transgenre a défendu son client en niant toute agression et en accusant les détenues plaignantes de « transphobie ». Notons d’ailleurs qu’une affaire en tous points semblables s’était déroulée au Royaume-Uni en 2018 : une personne condamnée pour viol avait pu obtenir d’être placée dans une prison pour femmes et y avait allègrement repris ses activités… Elle a depuis été à nouveau condamnée pour ces nouvelles agressions, placée dans une prison pour hommes (je suppose…) et le ministère de la Justice britannique a présenté ses excuses aux détenues violées.
Les TERF
Toujours est-il que désormais la guerre fait rage entre féministes inclusives et féministes non-inclusives, celles-ci étant affublées par celles-là du terme infamant de « TERF » (« Trans Exclusionary Radical Feminist », soit « Féministes radicales rejetant les Trans »). De leur côté, lesdites TERF dénoncent dans le fait pour un homme de déclarer unilatéralement et péremptoirement « Je suis une femme », le comble de l’autoritarisme masculin et, disons le mot, du machisme.
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Dans le même temps, le corps médical se retrouve pris entre des injonctions contradictoires au sujet du changement de sexe. En effet, d’un côté, des médecins nord-américains se font traîner en justice pour ne pas avoir accepté de procéder à une opération de « transition » ; et de l’autre des médecins britanniques se font traîner en justice pour l’avoir fait, le patient regrettant aujourd’hui sa décision. Et débrouillez-vous avec ça !
Et je ne vous parle pas des droits humains
Et qu’en est-il des droits de l’Homme – pardon, des Droits Humains ? Eh bien, dans cette même frénésie autophage, les mouvements de défense des droits humains, se concentrant sur ceux des minorités, en arrivent là encore à l’exact inverse de ce qu’ils défendent. C’est en effet au nom de la démocratie, de l’égalité et de « l’inclusion » que des groupuscules d’excités de la pureté, sortes de résurgence des Gardes rouges de Mao, organisent des coups de main pour interdire tel spectacle, telle conférence ou tel film qui n’auront pas eu l’heur de leur convenir. Dans certains cas, la chose pourra aller jusqu’à incendier livres ou librairies. Comme au bon vieux temps, diraient de mauvais esprits. On assiste à cela aux USA, bien sûr, mais pas seulement. En Belgique, deux rédacteurs de Charlie Hebdo ont récemment fait l’objet d’une tentative d’interdiction par un groupe d’extrême-gauche les accusant d’être « réactionnaires » et de nuire aux droits des minorités. Et en France ? Eh bien, en France, patrie des Lumières, c’est le gouvernement lui-même qui s’y colle. Car, prenant prétexte de la ridicule affaire Griveaux, dans laquelle les réseaux sociaux n’ont joué aucun rôle déterminant, le gouvernement affirme haut et fort sa volonté de lever l’anonymat et de censurer les communications sur Facebook et autres Instagram, le tout au nom de la liberté. C’est un peu comme si, à la suite d’un grave accident entre une trottinette et un camion rue Royale à Paris, le gouvernement déclarait qu’il n’y a rien de plus pressé que de limiter la vitesse à 80 km/h sur les autoroutes, d’y multiplier par cinq le nombre de radars et de passer l’amende pour excès de vitesse à 500 euros… Tandis que les députés LREM se préparent à voter ce chef-d’œuvre de flou liberticide qu’est la loi Avia, notre tout frais nouveau ministre de la Santé nous ouvre des perspectives médicales insoupçonnées en expliquant au micro de France Inter que la trop grande liberté sur les réseaux sociaux facilite sans doute la propagation de maladies comme le coronavirus.
De plus en plus vertigineux
Et puisqu’on parle de santé, saluons pour finir cette nouvelle avancée à la fois scientifique et éthique dont nous ont récemment gratifié deux médecins britanniques : le « droit » pour chaque homme de voir son sperme prélevé après sa mort pour alimenter des banques en mal de matière première. La chose est déjà autorisée dans certains états des USA ou au Royaume-Uni, sous des conditions très restrictives. Mais là, il s’agirait de faire de ce type de don un « don d’organe » comme les autres. Qui ne voit en effet que le don de sperme post mortem est un droit humain (et même, pour le coup, un droit de l’homme) fondamental, et que seule une conception rétrograde de la morale ou de la dignité humaine nous empêche d’adopter cette mesure si progressiste ? Qui ne voit l’intérêt économique et social d’une telle démarche, à une époque où la démocratisation de la PMA comme de la GPA devrait faire exploser la demande ?
Certes, des esprits chagrins pourront s’étonner d’un tel enthousiasme nataliste dans les rangs progressistes, au moment où ces mêmes progressistes s’alarment de l’état de notre planète et commencent à prôner, pour y remédier, une diminution de la population mondiale. Mais là encore, on l’aura compris, ce ne sont pas les contradictions qui leur font peur.
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