On avait cessé d’entendre parler du Québec. Sinon par ses chanteuses. Et d’un coup, en 2012, par le printemps érable qui mit en scène pendant plusieurs semaines des manifestations monstres, le monde a tourné le regard vers lui. Le Québec était-il en révolution ? Non. Mais le tumulte social était tel que le gouvernement du Parti libéral (fédéraliste) s’est retrouvé obligé d’aller en élections anticipées.
Où en est le Québec ? Le constat est simple : le Québec n’a jamais été autant divisé depuis trente ans. La question nationale demeure la question « lourde » de la politique québécoise. Entre souverainistes et fédéralistes, on ne voit pas de terrain d’entente. Toutefois, cette pomme de discorde est désormais en concurrence avec la polarisation « gauche-droite » qui s’accentue et s’impose peu à peu avec des partis comme la Coalition Avenir Québec (centre-droit) ou Québec solidaire (gauche radicale).
De quoi le clivage gauche-droite est-il le nom ? Économiquement, les Québécois sont divisés entre leur attachement aux droits sociaux et une conscience aigüe d’un nécessaire désendettement de l’État. Socialement, ils sont plutôt libertaires. Culturellement, on les sait très attachés à leur identité nationale. On ne se tromperait pas en disant qu’ils sont majoritairement des « conservateurs de gauche ».
Mais le fait central est le suivant : les souverainistes sont au pouvoir. Après neuf ans de régime fédéraliste, et avec à Ottawa un gouvernement canadien profondément étranger aux réalités québécoises, la chose est significative. Les souverainistes sont dirigés par Pauline Marois depuis 2007, qui a eu une longue carrière ministérielle. Le mandat péquiste étant néanmoins archi-minoritaire, on peut s’attendre à de nouvelles élections dans les dix-huit prochains mois.
Car le projet souverainiste ne va pas très bien. Trop « progressiste » au goût de certains, incapable de reconstituer la grande coalition « gaullienne » gauche/droite qui avait historiquement fait la force du Parti Québécois, il peine à se donner un nouveau souffle. La mondialisation et sa dévalorisation des nations n’aident pas non plus. L’esprit du temps est à la dénationalisation de la politique et de la démocratie.
On examinera ces causes multiples en gardant une idée à l’esprit : les Québécois, et surtout les francophones, s’identifient massivement et prioritairement au Québec. Leur attachement affectif au Canada est marginal, comme s’ils avaient déjà réalisé leur indépendance « psychologique ». La nation est une expérience historique avant d’être une construction idéologique artificielle.
Si le mandat actuel du Parti Québécois n’offre pas l’occasion d’un référendum, il ne remet pas moins la question nationale à l’avant-scène. Le PQ a pris des engagements fermes pour la défense de l’identité québécoise, et surtout de la langue française, laquelle décline. Cela provoque une levée de boucliers chez les idéologues du multiculturalisme qui voient partout des vexations aux libertés fondamentales.
Au Canada comme eu Europe, le multiculturalisme est en crise. D’autant plus qu’il est inscrit dans la constitution canadienne. Jusqu’ici, il occupait une fonction primordiale : marginaliser la nation québécoise en la transformant en une minorité ethnique parmi d’autres. On lui retirait ainsi son statut de peuple fondateur au Canada. Ce que confirme le rapatriement unilatéral de la constitution de 1982 : trente plus tard, il est ainsi frappant qu’aucun parti, même parmi les plus fédéralistes, ne propose de signer cette constitution.
Mais l’affirmation québécoise se paie toujours du prix de la diffamation canadienne-anglaise. C’est ce qu’on appelle le Quebec bashing. On diabolise la nation québécoise et plus encore les souverainistes. Le Québec révèle une tentation souverainiste persistante. À Toronto, à Calgary, à Ottawa, les accusations grossières, loufoques, insensées, de « nationalisme ethnique » et de xénophobie viennent polluer le débat. Elles confirment la persistance d’une mentalité « néo-coloniale » dans la gestion canadienne de la question québécoise.
Les Québécois croient trop souvent que la question nationale est anachronique. Ils oublient que partout dans le monde, on la redécouvre. On ne sacralise plus les frontières, évidemment. On sait désormais qu’il serait fou de les abolir. Alain Finkielkraut l’a déjà suggéré : la question du Québec est un peu révélatrice de celle des petites nations, qui réclament un point de vue singulier sur le monde, et nécessitent l’indépendance politique pour s’autogouverner.
La situation géopolitique et historique du Québec le confirme. On serait tenté de dire que l’indépendance est inscrite dans la logique de l’histoire du québécoise. Les deux référendums perdus de 1980 et 1995 (60% des Québécois francophones ont toutefois voté OUI) nous interdisent un tel optimisme. Il n’en demeure pas moins que l’idéal souverainiste se normalise. Même les fédéralistes reconnaissent aujourd’hui la viabilité de la souveraineté québécoise. Après la Révolution tranquille, il se pourrait bien que les Québécois réalisent à terme une forme de souveraineté tranquille.
Le gouvernement du Parti Québécois doit surtout bien gouverner au centre et chercher à rassembler les Québécois. Il devra développer une stratégie souverainiste à moyen terme, notamment sur le plan international en refaisant des alliés en France, seule puissance amie non seulement du Québec, mais de la cause souverainiste. Il appartient aux souverainistes de recommencer l’indispensable travail diplomatique qui confirmera leur sérieux dans la poursuite de l’indépendance.
Le retour de la question du Québec confirmerait le retour du politique dans une époque qui avait cru tout sacrifié au mythe du citoyen du monde et à celui de la disparition des frontières. La nation et la démocratie participent d’un même imaginaire. Le poids de l’histoire finit toujours par couler les idéologies à la mode. La lutte pour l’indépendance des Québécois n’est pas à la veille d’aboutir. Mais la marche a peut-être repris. Qui sait où elle mènera ?
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