Dans la famille manga, je demande le genre shôjo : il s’agit de mangas pour adolescentes (c’est le sens de shôjo en japonais) pré ou tout juste post-pubères, parfois touche-pipi mais pas forcément. Un peu niais. Harlequin mis en images. Bibliothèque rose bonbon.
Yumiko Igarashi, la grande mangaka « princesse du shôjo manga », connue pour Candy ou Georgie, qui doit se tenir au courant des dernières réformes du collège en France, a donc adapté Madame Bovary en shôjo manga afin de complaire aux IPR qui inlassablement sillonnent leur rectorat (un joli mot qui vient probablement de rectum, vu le forcing des con/certations) et qui recommandent (voir par ailleurs ma future chronique du Point) de ne pas se lancer dans des travaux littéraires qui passeraient par dessus la tête des apprenants.
Comme dit l’éditeur français, « la narration très féminine du genre colle parfaitement au style graphique ». Qu’on en juge :
C’est sans doute trop com/plexe pour des ados con/temporains cons/ommateurs de shôjo et d’autres balivernes sentimentales. Trop complexe aussi pour les inventeurs des dernières réformes de l’Education — celle du lycée, con/coctée par les services de Luc Chatel, ne valait pas mieux que celle du collège qui lui fait écho. Faut croire qu’en fait d’Education, c’est à l’Education sentimentale que pensent les gros bonnets de la rue de Grenelle. Du coup, la fameuse phrase où le romancier se moque des lectures de la jeune shôjo Emma, pleines de « messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l’est pas, toujours bien mis et qui pleurent comme des urnes » devient, chez Igarashi :
Comme les Japonais pensent à tous les publics, les homos ont spécifiquement le yaoi, dans lequel l’intrigue est centrée autour d’une relation homosexuelle entre personnages masculins, et comportant éventuellement des scènes sexuelles. Dans les faits, c’est aussi cucul la praline que le shôjo — il n’y a pas de raison commerciale que les gays soient plus malins que les hétéros.
J’étais déjà l’heureux possesseur d’une version réduite et illustrée du Comte de Monte-Cristo publiée en Inde — les 1 000 pages du roman de Dumas ramenées à 231 pages d’un tout petit format en corps 14 — voyez vous-même, c’est la fin :
Mais avec le genre shôjo, une nouvelle barre est franchie — la barre que l’on abaisse, bien sûr, afin que tous la passent, et viennent ensuite s’écraser contre le mur inéluctable de la réalité. Flaubert ne sert pas uniquement à donner de la culture ou à passer un bon moment, mais à faire comprendre qu’en rester à des lectures chatoyantes et un savoir auto-construit à 14 ans vous promet des lendemains qui déchanteront — mais Najat s’en soucie-t-elle ?
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