Les Brésiliens s’apprêtent à choisir un président pour un mandat de quatre ans. Malheureusement, les principaux candidats présentent de graves invalidités qui font ressembler ce scrutin à un rendez-vous de canards boiteux.
Lula a beau être favori des sondages (41% des intentions de vote), il ne peut pas mettre un pied dehors sans être pris à parti. Il ne peut s’asseoir à la table d’un restaurant sans qu’un client ne se lève et ne lui réserve quelques mots bien sentis : « Lula voleur ! », « Lula retourne en taule ! ». Alors soit les sondeurs se trompent, soit les Brésiliens sont schizophrènes, répondant une chose à l’enquêteur et pensant une autre dans leur intimité.
Admettons que les sondeurs aient raison, Lula est vieux, sa voix est cassée et il n’est pas à l’aise dans les revendications de l’époque : ce syndicaliste génial a du mal à promouvoir la transition de genre et la transition écologique. Il est d’une époque où l’on faisait grève, pas de ce temps où l’on les hommes défilent en talons-aiguilles.
Bolsonaro arrive en deuxième position (34%). Il a beau être le leader incontesté de la droite brésilienne, il ne dispose pas d’un parti à lui ! Le président de la République est une sorte de « non-inscrit » qui ne peut pas compter sur un parti à sa dévotion ni sur un mouvement de jeunesse. Il a essayé de former un parti durant sa présidence mais a lamentablement échoué. Incroyable incompétence. En vue du scrutin d’octobre prochain, il a été « adopté » par le Parti Libéral, l’équivalent chez nous d’un MoDem ou d’une UDI, un regroupement d’ambitions personnelles sans saveur ni envergure. Il ne dispose pas non plus d’un seul canal télé acquis à sa cause. Certes il est le roi incontesté des réseaux sociaux, mais ils sont tous aux mains de la Big Tech qui n’hésitera pas à lui couper la langue en temps voulu. Est-ce que ses 20 millions d’abonnés sur Instagram descendront dans la rue lorsqu’il en sera banni ? On peut en douter.
Son bilan ne lui est d’aucune utilité auprès du grand patronat. Les banques, les industriels et les marchés financiers lui tournent le dos alors qu’il est le président le plus libéral que le Brésil ait connu depuis au moins trente ans. C’est que les grands patrons disent voir en lui une « menace à la démocratie » et un obstacle devant « l’inclusion » des minorités. Au Brésil aussi, les grandes entreprises sont contaminées par la variole idéologique cuisinée dans les universités américaines.
L’élection qui vient se résume à la lutte entre ces deux hommes : Lula et Bolsonaro. Point final. Il n’y a pas de troisième voie entre l’extrême-gauche et la droite dure.
Quelques candidats essaient d’exister, inutile de les citer car ils ne servent qu’à faire travailler les agences de publicité.
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Le choix est ailleurs
Si le paysage politique est aussi déprimant, c’est qu’il a été voulu ainsi. Pour comprendre cela, je prie le lecteur français de me croire sur parole lorsque je vais énoncer ces deux axiomes : (1) le Brésil est un pays riche qui compte beaucoup de pauvres et (2) le Brésil est la propriété privée d’une oligarchie qui ne veut le partager avec personne, ni avec le capital étranger ni avec le peuple brésilien.
La moitié des Brésiliens n’a pas le tout-à-l’égout. Le peuple réel vit au jour le jour, il a peur de la faim et de la mort violente. Il cherche un père qui le nourrisse et le protège. Il est impossible de devenir président sans faire de la démagogie et de pratiquer le populisme. La démagogie consiste à promettre la Lune, le populisme à monter les uns contre les autres (les pauvres contre les oligarques).
Lula et Bolsonaro font de la démagogie et du populisme, ils ont raison, car tel est le chemin qui mène à la victoire dans un pays d’orphelins. Au Brésil, l’on s’apprête à élire un père, non un président ; un chef de famille, pas le chef de l’exécutif ; un justicier, pas un visionnaire.
Comment sortir les Brésiliens de la misère et couper ainsi l’herbe sous le pied des démagogues et des populistes ? Il faudrait certainement libérer le pays de l’oligarchie qui le considère comme sa propriété privée : les banques, les grands du BTP, les géants de la distribution, les mafias de la cocaïne, etc. Ces groupes d’intérêts maintiennent le Brésil en retrait de la globalisation, avec des tarifs douaniers élevés et une infrastructure logistique médiocre. Cela éloigne les concurrents étrangers. Ils se fichent que le système éducatif soit un des pires au monde, ce sont autant de places à prix d’or réservées à leurs enfants formés aux Etats-Unis.
Les seuls à aspirer à un changement résident en-dehors des villes et participent de ce formidable secteur agricole brésilien qui exporte vers la Chine et le monde arabe. Ils croulent sous les dollars et savent qu’ils peuvent en gagner deux fois plus si les routes étaient bonnes et les ports mieux équipés. Les agriculteurs veulent la modernisation du Brésil, qui passe par sa libéralisation : ils votent donc en masse Bolsonaro.
Or, le pouvoir est pour l’instant dans les villes du Sud-Est : Rio de Janeiro, São Paulo, Belo Horizonte. Tout est bloqué donc, les grandes villes s’accrochent à l’archaïsme et au sous-développement, alors que les campagnes rêvent de conquérir le monde.
Au-delà du spectacle Lula-Bolsonaro, se joue une bataille souterraine autrement plus sérieuse et décisive. Le Brésil a un rendez-vous avec l’histoire, il doit choisir entre le Progrès et la Stagnation. Et vous avez compris que le Progrès n’est pas du côté gauche ni du côté des villes…
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Bolsonaro devrait l’emporter
L’homme de la rue n’a pas de temps à consacrer à cette lutte entre les Lumières et les Ténèbres. Il doit survivre. Et à l’instinct de survie, Bolsonaro a su répondre par deux moyens, discutables certes mais à même de lui assurer la victoire. Premièrement, il a dit non au confinement, marquant des points auprès des classes populaires que des maires fanatisés par l’OMS et les médias ont enfermées chez elles. Ces élus n’ont eu aucune empathie pour les vendeurs ambulants et les mères seules qui du jour au lendemain ont été condamnés à la malnutrition. Les damnés de la Terre savent très bien qui les a affamés et qui s’y est opposé. Deuxièmement, Bolsonaro a mis sur pied un programme massif d’assistance qui donne 100 USD cash à chaque Brésilien en position de vulnérabilité. Les électeurs qui se rendront au bureau de vote en octobre ont de grandes chances d’avoir rempli leur frigo avec cet argent. Bien entendu, 100 USD est une misère, même au Brésil, mais c’est une bouée de sauvetage pour un peuple au bord de la syncope.
A mon avis, Bolsonaro va remporter les élections d’une courte tête. Je crois que l’oligarchie partage le même diagnostic que moi, d’où sa panique. Les médias sont pris d’hystérie et ne savent plus quel mensonge inventer ou quelle vérité cacher pour salir le président.
Bolsonaro dit craindre une fraude électorale. Il se chamaille d’ailleurs avec la Cour Suprême à ce propos : il lui demande de prévoir un audit manuel des urnes électroniques (le vote au Brésil est intégralement électronique), elle s’y refuse, même si le système a déjà été hacké en 2018.
Mais, ce que je crains le plus n’est pas la fraude électorale mais l’élimination physique. Souvenons-nous qu’un « déséquilibré », ancien militant d’extrême-gauche, a grièvement blessé Bolsonaro à l’abdomen il y a cinq ans. Cette fois, le « déséquilibré » aura peut-être une lunette de vision à long-terme et un entraînement militaire…