À la surprise d’Oudéa-Castéra, qui venant du privé est habituée à voir les cadres avaler les couleuvres qu’on leur insère par voie rectale, le Recteur de Paris, Christophe Kerrero, n’a pas supporté sa dernière preuve d’incompétence : pour tenter de complaire aux syndicats qu’elle recevait dans le cadre du Conseil Supérieur de l’Éducation, jeudi dernier, la ministresse des farces et attrapes — dixit notre chroniqueur — a décidé de maintenir trois classes prépas menacées de fermeture à Paris, quitte à renoncer aux voies différentes imaginées par le recteur.
C’est par une lettre supérieurement bien écrite que Christophe Kerrero a pris congé des personnels de l’Académie de Paris. Plus qu’un adieu, c’est manifestement un au-revoir : Kerrero se met en réserve de la République, et prend date pour de nouvelles aventures sous des cieux plus cléments.
Il n’a pas manqué de centrer cette missive sur ce qui a été sa tâche des trois dernières années : la réduction des inégalités sociales, la promotion des bons élèves qui ne sont pas nés de la cuisse de Jupiter, et n’ont pas fréquente l’Alsacienne, « Stan », Louis-le-Grand ou Henri-IV, ces temples, privés ou publics — ça n’a aucune importance — de l’entre-soi et de la connivence de classe.
Les enseignants qui ont protesté devant des mesures aussi équilibrées que judicieuses — la réforme Affelnet, le rééquilibrage des CPGE — devraient se demander de quelle classe sociale ils sont les larbins. Et dans ce cas, qu’ils relisent Marx — ou La Boétie et son Discours de la servitude volontaire.
« La reproduction sociale, écrit le Recteur, caractérise encore beaucoup trop notre système éducatif. Paris en est un exemple, certains diront un miroir grossissant. Toute mon action aura été de vouloir inverser cette tendance, même modestement. Notre mission première est de donner l’espoir en même temps que l’éducation aux élèves les plus éloignés de la réussite.
Notre pays passe à côté de trop de talents et mon parcours personnel m’y rend particulièrement sensible. J’ai été l’un de ces élèves en échec et il s’en est fallu de peu que je ne rejoigne la cohorte des exclus si certains professeurs, dans un autre cadre, n’avaient cru à mes capacités révélées plus tardivement. Il est si facile de passer à côté d’un élève. »
C’était tout le sujet de mon dernier livre, L’Ecole à deux vitesses, et le sens de mon combat pour l’École depuis trente ans. Ce devrait être le souci de tous les enseignants, de toutes les puissances tutélaires de l’Éducation Nationale.
C’est loin d’être le cas. Une caste arrogante, nourrie dans les mêmes antichambres scolaires du pouvoir, a ré-orienté l’École dans le sens de sa reproduction, comme disait Bourdieu. Dans le genre darwinien, ce n’est même pas intelligent : à trop brimer les humbles, on fabrique les conditions d’un retour de bâton terrible. C’est pour n’avoir pas compris ce mécanisme que les amis de Marie-Antoinette ont perdu la tête, après 1789. Insérer à doses homéopathiques des petits, des obscurs, des sans grade parmi l’élite de la nation, de façon à en renouveler les cadres, est une nécessité vitale.
Évidemment, Oudéa-Castéra et ses semblables préfèrent privilégier leurs enfants, et ceux des amis de la promotion Léopold-Senghor. Comme jadis Mitterrand avait propulsé dans les sphères du pouvoir ceux de la promotion Voltaire. Quand on voit quelles brillantes intelligences sont sorties de ces deux moules, on craint le pire pour le pays.
Ce fut tout le combat de Christophe Kerrero à Paris. « A mon arrivée, chacun de mes interlocuteurs me répétait que notre académie était la plus ségréguée de France : une académie de contrastes, où les établissements les plus prestigieux côtoyaient des ghettos scolaires. On me répétait aussi que rien ne changerait, dans une Académie trop exposée. C’était une donnée, presque une fatalité. En un peu plus de trois ans, nous avons pourtant pu inverser les courbes. La réforme de l’affectation en Seconde, la modification du recrutement à Louis-Le-Grand et Henri-IV, la recomposition de la carte des formations et des lycées, afin de rebattre les cartes de la mixité sociale et scolaire, autant de combats, difficiles, souvent solitaires, mais qui ont fédéré notre Académie. Ils ont donné espoir. En démontrant l’efficacité d’une politique publique volontariste, malgré les pressions de ceux qui veulent que rien ne change. En transformant le destin de milliers d’élèves pour qui le champ des possibles s’est ouvert, concrètement, au-delà des mots et des postures convenues. »
Je ne le lui fais pas dire.
Il avait ainsi conçu le projet de monter (à Henri-IV) une section de type CPES (Cycle Pluri-Disciplinaire aux Etudes Supérieures) pour former des professeurs des écoles, loin d’universités dont ce n’est guère la vocation. Loin surtout des INSPE où les futurs enseignants sont formatés à ne rien apprendre, et à ne rien transmettre — sinon des bonnes intentions si creuses que les prédicateurs de toutes obédiences sont ravis de glisser leurs billevesées dans ces jeunes cervelles creuses : ce sera tout le sujet de mon prochain livre. La nature a horreur du vide, quand on ne comble pas les jeunes cervelles par des savoirs et des Lumières, les forces de la nuit montent à l’assaut.
Les journalistes spécialisées dans la chose scolaire, que ce soit Caroline Beyer au Figaro, Marie-Estelle Pech à Marianne ou Véronique Fèvre à BFM, considèrent toutes que cette démission est un camouflet de plus infligé à Sa Majesté Incompétente de la rue de Grenelle. Là encore, je ne leur fais pas dire…
La ministresse des farces et attrapes a pris acte — via Twitter : on ne peut faire plus méprisant — de la démission de Kerrero. Elle aurait dû en discuter avec lui : il y a quelques jours, recevant à la Sorbonne l’ensemble des recteurs, il avait, en tant que puissance invitante, prononcé un discours bien plus ministériel que les mensonges et dénégations laborieuses d’une ex-employée de Carrefour. Elle n’avait pas mal géré les Sports, mais rue de Grenelle, elle est l’illustration même du principe de Peter : elle a atteint son seuil d’incompétence. On doit leur enseigner ça, à l’ENA, non ?