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Le rabaissement de la fonction présidentielle est-il inéluctable?

Faut-il revenir à des fondamentaux de la Ve, innover institutionnellement, ou se résigner à subir le pire de la IV République?


Le rabaissement de la fonction présidentielle est-il inéluctable?
Allocution du président Macron, 5 décembre 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Notre démocratie représentative est en crise. Le rabaissement de la fonction présidentielle, déjà banalisée par le quinquennat, et le réveil du multipartisme anarchique, semblent désormais caractériser notre Vème République – un régime politique jusqu’alors stable et accepté par plus de 82% des Français en 1958. Comment s’en sortir ? Analysons…


C’est à craindre : le régime parlementaire qu’incarnait la Ve République est en passe de dégénérer en régime d’assemblée.

La séquence ouverte par la Loi de financement de la Sécurité sociale montre que le RN est devenu un acteur décisif du jeu parlementaire. A moyen terme, il conviendra de trancher le nœud gordien par un choc de légitimité qui exige le recours au référendum et invite – pourquoi pas – à expérimenter le scrutin uninominal à un tour plutôt que de placer quelque espoir dans le scrutin proportionnel.


L’adoption du quinquennat en 2000 a précipité le régime sur sa pente actuelle. Pourquoi ? Dans les régimes parlementaires, le pouvoir exécutif est bicéphale mais non dyarchique. Le président ne peut donc, sans créer de confusion, être un « super Premier ministre » au risque de reléguer ce dernier au rang des collaborateurs. Le président devient alors le chef de la majorité et n’est plus le garant de l’unité nationale et de la continuité de l’Etat, qui donne les « impulsions fondamentales » et les « directions essentielles » (Pompidou, conf. de presse 10 juillet 1969). Son action n’est plus circonscrite au « domaine réservé » qui confère la hauteur nécessaire à une vision à long terme. Le quinquennat, voulu par Lionel Jospin alors Premier ministre, et auquel le président Chirac s’est résolu, était perçu comme un progrès démocratique, qui présentait le mérite d’éviter les cohabitations en faisant coïncider le mandant présidentiel et la législature. Mais, les élections présidentielles de 2022 ont anéanti cette conjecture ! En descendant dans l’arène politique, le président a perdu de son éloignement et, ce faisant, comme le prévenait le Général de Gaulle, de son prestige et de son autorité (“L’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans l’éloignement”). En charge de tout, le président est devenu un paratonnerre qui, prenant directement la foudre, n’est plus préservé par le Premier ministre simple fusible ! En exerçant les pouvoirs normalement dévolus au gouvernement et à son Premier ministre, il perd de son autorité. Or, c’est cette dernière (auctoritas) qui augmente (augere) le pouvoir (potestas), et non l’inverse (Hannah Arendt, La crise de la culture, 1972).

Le réveil du multipartisme anarchique

Le fait majoritaire, amplifié par le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours (institué par l’ordonnance du 13 octobre 1958), excepté la parenthèse de 1986, devait inoculer, au régime de la Vème République, la stabilité gouvernementale, contrastant avec la valse endémique des gouvernements sous la IVe République (24 gouvernements en 12 ans de régime).

La IVe République laissait le champ libre aux coalitions ayant pour pivot soit la SFIO (1946-1951) soit le MRP (1952-1955). Les communistes en étaient exclus en raison de leur allégeance à l’Union soviétique, tandis que les gaullistes (RPF) affichaient leur défiance à l’égard du « régime des partis ». La guerre d’Algérie révéla l’incurie du système… Le 1er juin 1958, l’Assemblée nationale accordait l’investiture au Général de Gaulle qui devenait le dernier Premier ministre de la IVème République. C’est dans ce contexte institutionnel que fut adoptée par référendum du 28 septembre 1958, la nouvelle Constitution à 80% des suffrages exprimés. Après 65 années de règne, le régime de la Vème République semble à bout de souffle, prêt à être emporté par une crise de régime amorcée par la dissolution et menacé par les motions de censure mêlant « l’alliance des contraires ».

On assiste au réveil d’un multipartisme anarchique, que la constitution de la Vème République, modèle singulier de rationalisation du parlementarisme, échoue aujourd’hui à endiguer. Il apparaît sous la forme d’un tripartisme constitué, à gauche et au centre, de cartels de partis, alliés au second tour, pour mettre en déroute le RN arrivé en tête au premier. Sans autre « raison sociale » que de faire barrage, aucun des partis des deux cartels n’est susceptible de jouer le rôle d’un parti pivot pour constituer une majorité. La crise politique est donc consommée. Elle pourrait dégénérer en crise de régime si ce dernier se révélait impuissant à résoudre la crise financière. Pour l’adoption du projet de Loi de finances de la Sécurité sociale (LFSS), Michel Barnier n’était pas tenu d’engager la responsabilité du gouvernement sur le fondement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Constatant que le délai de 50 jours était expiré au 2 décembre, le Premier ministre pouvait dessaisir le Parlement et, en vertu de l’article 47-1 de la Constitution, mettre la loi en œuvre par ordonnance. Il préféra céder au RN le destin de son gouvernement !

Risques et péril de l’usage du 49 alinéa 3 de la Constitution

L’article 49 alinéa 3 est un instrument de rationalisation du parlementarisme. Mais son usage, à l’instar du droit de dissolution, est à manier avec parcimonie. Il peut servir à discipliner une majorité erratique. En l’absence de majorité, il devient une roulette russe !

Son usage, qui induit la possibilité d’une motion de censure, n’est pas un coup de force, mais un coup de droit : un acte politique fondé en droit constitutionnel.

Le RN obtint satisfaction sur au moins deux de ses « lignes rouges » : le prix de l’électricité et l’engagement du gouvernement à ne pas prévoir de « déremboursement » de médicaments. Comment s’est-il résolu à voter la motion de censure déposée par son adversaire politique le plus déterminé qui reprochait au gouvernement Barnier de céder à ses plus « viles obsessions » ? Parce qu’il a mêlé ses voix à celles du NFP, on lui intente le procès d’avoir précipité la France dans l’inconnu d’une crise financière déjà à l’œuvre. Mais ceux qui tirent à boulets rouges contre lui sont les mêmes qui ont scellé hier une alliance avec le NFP, y compris avec LFI, par le jeu des désistements au second tour des élections législatives. Défiant la réalité, les accusateurs mettent en réalité en scène le « théâtre antifasciste » en faisant jouer au RN le rôle antirépublicain (Le RN est-il vraiment d’extrême droite ? Le Figaro, 20 juin 2024).

Le RN aurait-il fait le pari d’une élection présidentielle anticipée ? Cette hypothèse ne semble pas recevable sans la possibilité d’une dissolution. La question aura donc une acuité nouvelle dans six mois, à la première date anniversaire (article 12 de la Constitution). Une seconde dissolution ratée risquerait de faire écho à la formule comminatoire de Gambetta à l’adresse de Mac Mahon, « se soumettre », en cas de majorité cohérente hostile, « ou se démettre », pour déverrouiller le blocage institutionnel. Le président Macron n’aura pas l’espoir d’une majorité que les élections législatives de 1962 avaient conféré au Général de Gaulle qui, dans la foulée, put renommer Georges Pompidou, son Premier ministre démissionnaire à la suite de l’adoption d’une motion de censure.

Le gouvernement Barnier fut renversé faute d’indexation des retraites sur l’inflation. Il lui suffisait de céder sur cette revendication pour obtenir un sursis. Certainement que le coût de cette mesure eut été inférieur à celui du rejet du Budget… Le prochain Premier ministre est donc prévenu. Après cette séquence tribunicienne et contestataire, le RN ne tardera pas à réinvestir la posture d’un parti d’alternance.

Trancher le nœud gordien pour un choc de légitimité

  • Le recours au référendum

Faut-il rappeler que l’article 3 de la Constitution énonce que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ? Ce dernier focalise la suspicion des élites à l’endroit des « Gaulois réfractaires », dont il conviendrait de forcer le destin… Sur la nature des contestations de la classe moyenne, il faut relire Les dépossédés de Christophe Guilluy (Flammarion, 2022). Prévu par les articles 11 et 89 de la Constitution, le référendum verserait dans le césarisme démocratique, détournerait l’objet de la question posée en raison de sa dérive plébiscitaire. Il n’en demeure pas moins un outil de démocratie directe, ou semi-directe, puisque le peuple n’en a pas l’initiative. Il charge la loi d’un surcroit de légitimité politique. Le Conseil constitutionnel ne contrôle pas les lois référendaires (Cons const. n°62-20 DC du 6 novembre 1962), et ce, à l’exception du référendum d’initiative partagée.

Le recours au référendum constitutionnel est plus complexe dans la mesure où l’article 89 de la Constitution impose que le projet ou la proposition de révision soit votée par les deux assemblées en termes identiques. C’est la raison pour laquelle le Général de Gaulle a eu recours à l’article 11 en 1962 pour modifier la Constitution au titre de « l’organisation des pouvoirs publics », en instituant l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Il neutralisait ainsi l’opposition du Sénat.

  • Et le scrutin uninominal majoritaire à un tour ?

Le scrutin proportionnel aux élections législatives est fréquemment proposé de part et d’autre du spectre politique, de LFI au RN en passant par le MoDem. Pour quelle planche de salut ? On assisterait, dans ce contexte de multipartisme anarchique, à la consécration de la IVème en pire (!), à l’avènement du « régime des partis » et des combinaisons incessantes qui échappent au suffrage universel.

Peut-être est-il temps d’expérimenter le scrutin uninominal majoritaire à un tour, adopté par exemple par la Chambre des communes au Royaume-Uni ? Le candidat arrivé en tête est élu même s’il n’obtient pas la majorité absolue des suffrages exprimés. Dans un tel système électoral, les alliances politiques se concluent donc ab initio. Ce mode de scrutin favorise, outre-Manche, le bipartisme, et pourrait en France, contribuer à restaurer un « quadrille bipolaire» que décrivait le professeur Maurice Duverger (PC-PS / UDF-RPR). La comédie antifasciste serait alors plus difficile à jouer, car le corps électoral ne serait plus surpris par l’impromptu des alliances de second tour…  

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Avocat. Docteur en droit. Spécialiste en droit public. Ancien 1er secrétaire de la Conférence du Barreau de Toulouse. Auteur du livre Le droit à la continuité historique (Vérone Ed. Déc. 2023)

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