L’événement vous a sans doute échappé et sans mon ami Georges Liébert qui m’envoie régulièrement par voie de poste tous les indices des progrès ébouriffants de la postmodernité qui lui tombent sous la main, je n’en aurais jamais entendu parler. Du 3 au 6 mai, en guise de zakouski avant « la journée internationale contre l’homophobie et la transphobie » qui avait lieu, elle, le 17 mai, Sciences Po a accueilli la première Queer Week – une semaine de quatre jours comme il se doit. Pour les ploucs qui comprennent pas de quoi on cause, les organisateurs ont eu la bonté de sous-titrer leur tract : la Queer Week c’est « une semaine du genre et des sexualités ». Et ne croyez pas qu’il s’agissait seulement de bla-bla : en plus des conférences et des débats, les étudiants ont eu droit à des « événements ludiques » et « happenings plus marquants ». J’ai du mal à imaginer un « happening marquant » ou un « événement ludique » dans le hall de ce vénérable établissement que j’ai eu l’honneur de fréquenter, mais ça prouve juste que je ne vis pas avec mon temps.
On veut du queer donc. Selon Wikipédia, ce terme sert « de point de ralliement à ceux qui – hétérosexuels compris – ne se reconnaissent pas dans l’hétérosexisme de la société ». Derrière cet obscur fatras, la grande idée, venue des universités US, c’est qu’il faut en finir avec la dictature de la différence des sexes, imposée par la nature et par l’oppression, et promouvoir le genre dont chacun peut décider en fonction de son humeur du moment et de la couleur de son sac. Si vous pensez être soit un homme, soit une femme, c’est que vous êtes réac ou aliéné par ces vieux carcans. Soyez queer, vous dis-je – ce que vous voulez, quand vous voulez.
Queer studies et gender studies : le retard français
Les promoteurs de cette manifestation, apparemment très appréciée par le directeur de Sciences Po Richard Descoings, ont un agenda : importer les queer studies et les gender studies, domaine dans lesquels la France affiche un insupportable retard. L’universalisme c’est vraiment ringard. Au-delà de l’université, l’objectif est aussi d’irriguer le monde de l’entreprise qui est, hélas, « peu sensibilisé à ces questions ». On attend avec impatience qu’un constructeur automobile envoie ses concessionnaires en stage de sensibilisation aux « problématiques du genre ».
Les défenseurs de ces billevesées qui doivent commencer à paraître vieillottes sur les campus américains peuvent se réjouir. Les temps changent et heureusement. Mai 68 a commencé parce que des garçons voulaient draguer dans les dortoirs des filles. Quel hétéro-centrisme affligeant ! À la pointe avancée de la société, nos partisans du queer mènent le combat pour l’indifférenciation généralisée. Dans leur avenir radieux, il n’y aura plus ni hommes ni femmes. Dans le monde merveilleux du « c’est mon choix », on n’aura plus à choisir.
Un esprit chagrin pourrait trouver fâcheux que ces sympathiques marottes aient droit de cité dans un établissement supposé former, entre autres, les futurs dirigeants du pays. Ils devront peut-être gouverner, c’est-à-dire, précisément choisir. Et aussi faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers : or ce n’est pas l’individu-roi qu’ils nous promettent mais l’individu-tyran devant les caprices duquel la société devra forcément s’incliner.
On ne s’arrêtera pas là. Il faudra aussi réparer les injustices du passé et créer, à Sciences Po, une filière « queer option trans » – rappelons à cette occasion que la transphobie sévit dans notre pays arriéré. D’ailleurs, je me demande si je ne suis queerphobe sur les bords. C’est juré, avant la prochaine « Semaine du Queer », je me soigne.
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