Accueil Édition Abonné Avril 2023 Le p’tit commerce de Dieudo

Le p’tit commerce de Dieudo

"Quand j’ai travaillé avec Dieudonné, il n’était pas encore drôle..."


Le p’tit commerce de Dieudo
Ouverture du procès en appel de Dieudonné pour fraude fiscale et blanchiment, Paris, 26 mars 2019 © Tristan Reynaud/SIPA

Notre ami Jean-Paul Lilienfeld a été le premier réalisateur à offrir un grand rôle au cinéma à l’humoriste. S’il a vite reconnu son talent et ses travers, il n’a compris que tardivement que l’antisémitisme était devenu son fonds de commerce. Aujourd’hui, il ne peut croire en l’honnêteté de ses « excuses ». Témoignage.


Qu’est-ce que j’apprends ? Dieudonné demande pardon ? Dieudonné présente ses excuses ? Ah non pas de ça Dieudonné ! Continue de nous faire rire.

Quand j’ai travaillé avec Dieudonné, il n’était pas encore drôle. C’était il y a un quart de siècle. Une époque où malheureusement, les Noirs n’étaient pas encore racisés. Ils étaient « Tout simplement noirs ».

Faire tourner Dieudonné était l’aboutissement d’une démarche entreprise avec L’Œil au beur(re) noir, écrit avec Patrick Braoudé à la fin des années 1980. Je crois bien que c’était la première fois qu’un film français proposait un Noir et un Arabe en premiers rôles. Le jour où il a eu le César du meilleur premier film, je me souviens avoir dit à Pascal Légitimus que l’étape suivante, ce serait qu’un Noir joue un premier rôle qui pourrait être tenu par un Blanc, juste parce qu’il serait le meilleur pour ce rôle.

Pour le casting d’HS, Hors Service en 1998, il me fallait pour le premier rôle un acteur crédible en psychopathe. J’ai donc demandé à Dieudonné.

Alors que nous travaillions en amont du tournage, quelques détails m’ont chiffonné. Mais rien de drôle encore, rien d’antisémite. C’était l’argent son problème. Je ne me laisserai pas aller à écrire dans une gesticulation comique désopilante que, l’argent, les juifs, tout ça se tient. Ne comptez pas sur moi. Compter, toujours compter… y’a rien à faire !

Je revois encore cet éboueur entrer timidement dans le Théâtre de la Main d’or désert en cette fin d’année 1998, « pour les étrennes ». Je revois la lueur de panique dans les yeux de Dieudonné. Sa fébrilité à tâtonner ses poches comme s’il ne savait pas déjà qu’il allait répondre qu’il n’avait pas d’argent sur lui. Un peu taquin, je lui ai suggéré de faire un chèque… Manque de chance, il n’avait pas de chéquier non plus. Quand ça veut pas…

L’éboueur est reparti en grommelant des trucs pas faits pour être vraiment entendus.

Les tournages, c’était quelque chose…

Pendant le tournage il n’apprenait pas ou peu son texte et cela entraînait des heures supplémentaires qui pesaient sur l’équipe et sur moi. À la fin de l’une de ces journées catastrophiques, furieux, je suis allé le voir dans sa loge pour lui dire qu’au prix où il était payé, le minimum syndical était d’apprendre son texte.

Et là, pour la première fois, il a été vraiment drôle : « Tu me dis ça parce que je suis noir. »

Dieudonné venait de trouver son clown.

Lorsque j’avais annoncé que je lui confiais le rôle principal, un des investisseurs, pas emballé, m’avait demandé : « Pourquoi un Noir ? » Dieudonné le savait et il savait aussi que j’avais répondu : « Et pourquoi pas ? » provoquant un silence embarrassé.

À l’époque j’avais un bête humour israélien. Au lieu de me faire rire, sa mauvaise foi a entrainé une engueulade bruyante qui a fait accourir la directrice de production affolée.

La suite du tournage a été tendue. On ne s’est évidemment pas revus après…

Puis arrive 2003, le jour du drame, le sketch « Isra-Heil ». Dont j’ignorais tout, car je n’étais pas en France.

Je reviens quelques jours plus tard et à ma grande surprise, je reçois un appel de Dieudonné : « Tu le sais toi que je ne suis pas antisémite. »

A lire aussi : Tes excuses, c’est à moi que tu les dois!

Sa question m’étonne, il m’explique ce qui s’est passé (juste un sketch, une déconnade tu vois). Je lui réponds, que n’ayant rien vu, je n’ai pas encore d’avis, mais qu’effectivement pendant le tournage, son principal défaut n’était pas l’antisémitisme…

Je regarde le passage de sa « déconnade » que je trouve lamentable mais à vrai dire, je trouve lamentable aussi l’espèce d’hallali qui a suivi. Dont je me dis vingt ans plus tard qu’il a probablement été fondateur de la suite.

N’oublions pas : radin (plus de rentrées d’argent) et parano (les juifs m’ont acculé, je vais les enc…)

Cependant, je suis sûr qu’au fond de lui, il est plein de gratitude pour les juifs. C’est grâce à eux qu’il est devenu presqu’aussi fort que Michel Leeb.

Mon Dieudo, en 2010, j’ai vu ton amusante saillie sur YouTube : « Il faut être juif pour avoir la liberté d’expression en France. […] Ils nous ont colonisés. La mort sera plus confortable que la soumission à ses chiens. » J’ai ri ! Mais j’ai ri ! Ça y est mon Dieudo, tu tiens le filon !

Et quand j’ai lu sur blackmap.com : « Les juifs sont un peuple qui a bradé l’holocauste, qui a vendu la souffrance et la mort pour monter un pays et gagner de l’argent. […] Maintenant, il suffit de relever sa manche pour montrer son numéro et avoir droit à la reconnaissance. » La force comique du gars !

Alors je t’en supplie, mon Dieudo, continue comme tu le fais depuis vingt ans de semer avec tant de verve la haine du juif. Continue de parler des sionistes en France, afin d’échapper aux procès de ces salauds, et des juifs quand tu es en Algérie – « il n’y a qu’en Algérie où je peux jouer parce que les autres pays africains sont sous contrôle du lobby juif » (conférence de presse à Alger en 2010). Les gens qui se donnent la peine de sachoir t’ont bien compris lorsque tu as déclaré, sur la chaîne iranienne Sahar 1, en septembre 2011 : « Le sionisme a tué le Christ. C’est le sionisme qui prétendait que Jésus était le fils d’une putain […]. »

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Qui, hormis un idiot de sioniste, ne comprend pas qu’au temps de Jésus, il n’y avait que des juifs et pas encore de sionistes. Puisque les juifs étaient encore chez eux. Enfin chez les Palestiniens. Enfin je me comprends…

J’ai capté que ta demande de pardon est encore une farce quand ton avocat a invoqué l’honnêteté de ta démarche. Honnête mon Dieudo condamné, entre autres, à deux ans fermes en appel pour abus de biens sociaux et fraude fiscale ? J’ai pouffé. Tu sais quoi ? C’est presque de l’humour juif.

Et quand ton avocat a ajouté que ta demande de pardon était une référence à Yom Kippour, fête juive consacrée à regretter les mauvaises actions et les mauvaises pensées commises durant l’année écoulée, là, tu m’as éclaté. J’ai su que tu leur mettais encore une belle quenelle. Un antisémite acharné découvrant soudainement la plus grande fête juive ? C’est pas de la bonne vanne ça ! Il se dit que tu es malade. Si malheureusement, c’est vrai, merci le Mossad. Mais ils ne t’auront pas. Je suis sûr que tu vas nous revenir avec tes sketchs qui me feront rire. Jusqu’aux larmes. Dieudo, vite ! Encore des punchlines qui tuent.

Avril 2023 – Causeur #111

Article extrait du Magazine Causeur




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est cinéaste et scénariste. Il a notamment réalisé La journée de la jupe (2009).

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