Le débat qui s’est tenu, vendredi 28 novembre, à l’Assemblée nationale sur la proposition de résolution du PS invitant le gouvernement français à reconnaître l’Etat palestinien a été fort instructif. Non qu’on ait pu y entendre des idées nouvelles sur la manière d’aider à résoudre cet interminable conflit, ni de morceau de bravoure d’éloquence parlementaire, mais parce qu’il révélait le véritable but de la manœuvre : initier un processus de paix interne au Parti socialiste.
Pourquoi, en effet, avoir choisi de présenter un texte signé par le seul groupe socialiste, alors que ce même texte, modifié à la marge, aurait pu obtenir l’assentiment de la grande majorité des députés de l’opposition UMP et UDI ? C’est ce qui ressortait des interventions de Pierre Lellouche et Philippe Vigier, porte-parole de ces deux formations lors de ce débat. On put même entendre Axel Poniatowski, prédécesseur UMP d’Elisabeth Guigou à la présidence de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée, annoncer son vote favorable avec des arguments identiques à ceux de la gauche.
S’il s’agissait, comme le prétendaient les ténors socialistes, de soutenir la diplomatie française, conduite par François Hollande et Laurent Fabius, dans son objectif de ramener Israéliens et Palestiniens à la table des négociations, une résolution transpartisane aurait pesé bien plus lourd dans la balance ! C’est ce qu’ont fait les députés espagnols, en adoptant un texte de compromis à l’issue de négociations entre la majorité de droite et l’opposition de gauche.
Si le gouvernement est persuadé, comme le stipule la résolution, que la reconnaissance immédiate de l’Etat de Palestine est de nature à favoriser la paix, alors que ne le fait-il sur le champ, à l’image de la Suède ? Il en a la possibilité constitutionnelle, et les risques politiques d’une telle initiative sont minimes : quelques mouvements divers dans l’assistance au dîner annuel du CRIF ne sont pas de nature à déstabiliser un François Hollande, qui en voit bien d’autres lors de ses apparitions publiques…
L’observateur est alors fondé à s’interroger sur les motivations profondes de ce modus operandi quelque peu baroque, dont la subtilité nous déconcerte. La première idée qui survient est de prêter aux dirigeants du PS des intentions bassement électoralistes : il s’agirait de récupérer, lors des prochains scrutins, les voix musulmanes qui s’étaient massivement portées sur François Hollande en mai 2012, mais qui lui avaient cruellement manquées lors des désastreuses municipales de mars 2014. « Israël assassin, Hollande complice ! » avait été le slogan le plus fréquemment repris par des foules majoritairement composées de jeunes issus de l’immigration maghrébine lors des manifestations pro Hamas de l’été dernier. À cela s’ajoute l’opposition des musulmans rigoristes à la loi dite du « mariage pour tous ». Cette explication n’est pas totalement infondée, elle a même été cyniquement exposée devant ses partisans par Benoît Hamon, tête d’affiche des « frondeurs » du PS, et député de Trappes, secteur à forte concentration d’immigrés musulmans. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si les orateurs socialistes lors du débat à l’Assemblée, Bruno Le Roux et Elisabeth Guigou étaient des représentant du 9-3. Ils penchent plutôt vers l’analyse de Pascal Boniface, auteur, en 2001, d’une fameuse note invitant le PS à cajoler l’électorat musulman, que vers celle des bobos de Terra Nova qui estiment que la reconnaissance de la Palestine était une « fausse bonne idée ». Pascal Boniface, bien que mis à l’écart par les instances officielles du PS, est néanmoins un « visiteur du soir » régulier de Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, député du 9-3 et aspirant à la succession de Manuel Valls pour le cas où…
Mais cette visée bassement électoraliste n’est pas la seule, ni même la plus importante, des motivations de la manœuvre élaborée par le trio Hollande-Fabius-Guigou. La révélation m’en est venue lors d’une récente conversation avec un militant PS de mon voisinage. Comme je lui demandais si cette affaire de résolution pro-palestinienne faisait débat dans les sections, il me répondit : « Rien du tout ! On est jusqu’au cou dans les palabres de préparation du prochain congrès ! » En clair, il s’agit, aussi, de donner un os à ronger aux « frondeurs » de tous acabits, pendant que Valls, Macron et autres suppôts du social-libéralisme continuent à leur faire avaler les couleuvres[1. L’accumulation de métaphores est volontaire : ronger un os en avalant des couleuvres, c’est un exercice dans lequel les apparatchiks de la « gauche » du PS sont passés maîtres.], que dis-je, les anacondas de leur politique économique et sociale. On a enfin trouvé le « marqueur de gauche » susceptible de donner du PS l’image d’une famille rassemblée : taper sur Israël, désigné comme le seul coupable de la montée de la violence proche-orientale. C’est pourquoi tous les députés PS ont été fermement invités à signer la résolution, même si, en leur for intérieur nombre d’entre eux cultivent quelques doutes sur sa pertinence. La petite dizaine de députés socialistes qui ont refusé de se soumettre, en conscience, à cette injonction sont soit suffisamment forts, localement, pour défier Solférino, soit décidés à ne pas solliciter un nouveau mandat. En tout cas, ils ont été réduits au silence, alors que les dissidents de la majorité de droite ont pu s’exprimer devant leurs collègues. Leur position, néanmoins a été défendue à la tribune par Roger-Gérard Schwartzenberg, président du groupe Radical de gauche, à la grande fureur des braillards sur les bancs socialistes.
Au Sénat, ce sera une autre paire de manches. Les sénateurs socialistes ont l’échine moins souple que leurs collègues députés, ce qui interdit de répéter au Palais du Luxembourg la comédie créée au Palais-Bourbon. Et puis, de toute façon, la droite y est maintenant majoritaire, alors on laissera une proposition communiste et EELV se faire massacrer. Mais qui se soucie du Sénat ?
*Photo : real.tingley.
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