On peut bien ne plus croire ni au grand soir ni aux lendemains qui chantent. On peut bien avoir rangé les luttes sociales au magasin des accessoires et désespéré Billancourt. On peut bien ricaner en arguant que la social-démocratie c’est l’électricité moins les soviets. N’empêche, la gauche vit aujourd’hui une journée que les historiens, dans dix ou vingt siècles, apprécieront à sa juste valeur : les socialistes français élisent aujourd’hui leur Premier secrétaire, c’est-à-dire leur Patrick Devedjian version forces de progrès.
Or, les commentateurs politiques sont peut-être allés un peu trop vite en besogne en jugeant que la compétition finale ne se jouerait pas sur le fond mais sur la forme – exit, au passage, Benoît Hamon : son sourire convenait, mais sa fâcheuse manie de serrer un couteau entre les dents ne semblait pas être assez télégénique pour rallier les voix de la majorité des camarades.
Restent en lice Martine Aubry et Ségolène Royal. Depuis des semaines, on nous annonce qu’elles sont interchangeables et qu’il n’y a aucune différence politique entre l’une et l’autre. Seulement, depuis hier matin, l’Histoire semble s’être accélérée : un fossé idéologique s’est ouvert, insondable et profond, entre le maire de Lille et la présidente de Poitou-Charentes. Alors que Martine Aubry entend conquérir la rue de Solférino, Ségolène Royal ne veut plus. Enfin si, elle veut, elle veut la place mais pas à cette place-là.
C’est du moins ce que la France a appris mercredi matin sur les ondes de RMC. Ségolène Royal était alors invitée à commenter une information de L’Express : « Ségolène Royal a décidé, si elle est élue Premier secrétaire du PS en fin de semaine, de vendre les locaux du parti, rue de Solférino. Seules conditions à remplir pour le futur siège socialiste : être dans un quartier plus populaire et relié à l’Assemblée par une ligne de métro directe. »
Sur les ondes de RMC, Ségolène Royal n’a ni confirmé ni démenti l’information. Elle s’est juste étonnée qu’un journaliste ait pu avoir tout seul une aussi excellente idée, avant de livrer son commentaire : « Je pense que ce serait un très bon symbole et, en plus, ça permettrait peut-être de faire des économies au passage et donc de baisser le coût des adhésions. »
Evidemment, la vente du siège du Parti socialiste serait tout un symbole… C’est que l’immeuble a ses fantômes. Celui de Philippe Henriot d’abord, qui y fut exécuté en 1944 lorsque le 10 rue de Solférino abritait le ministère de l’Information. Celui de François Mitterrand qui avait acquis le siège avant la présidentielle de 1981. Pour Ségolène Royal, ghosbuster du socialisme français, la vente du siège est un impératif. C’est qu’il n’y a pas non plus trente-six solutions pour se débarrasser d’un Rocard, d’un Mauroy ou d’un Lang. Le changement d’adresse est la meilleure stratégie pour que les éléphants du PS, qui ont depuis près de trente ans leurs habitudes dans le VIIe arrondissement, ne retrouvent plus leur chemin.
Et puis, installer le siège du PS dans un quartier populaire, ce serait conforme aux engagements de Ségolène Royal. Ce n’est un secret pour personne : la candidate au poste de Premier secrétaire milite pour un socialisme plus proche des Français et de leurs préoccupations, un socialisme participatif, un socialisme qui sorte enfin de l’embourgeoisement dans lequel tout grand parti de gouvernement finit un jour ou l’autre par s’enliser. En somme, c’est l’immobilier contre l’immobilisme. Le seul problème, mais on trouvera une solution, est que les derniers quartiers populaires de la capitale sont ceux où sévissent les dealers de crack. Mais après tout, un peu de poussière d’ange adoucirait peut-être les mœurs socialistes.
D’ailleurs, Ségolène Royal a ouvert la voie : n’a-t-elle pas en 2007 fait le choix audacieux d’installer son QG de campagne au 282 boulevard Saint-Germain, l’un des quartiers les plus popus de la capitale ? Sans oublier que pour les locaux de « Désirs d’avenir », elle a opté pour le 95… D’accord, il s’agit du numéro 95 du boulevard Raspail, dans le VIe, quartier de bidonvilles et de favelas – il est vrai qu’on s’en aperçoit un peu moins depuis le passage du baron Haussmann, mais c’est le symbole qui compte.
Avec Ségolène Royal, le PS a trouvé enfin sa ligne politique : ce sera la 12. Entre Porte de la Chapelle et Mairie d’Issy, le Parti socialiste cherche désormais sa station. On regrettera toutefois que Ségolène Royal, intraitable sur les principes, ait posé comme condition que le futur siège du PS soit relié à l’Assemblée par une ligne directe de métro. Avec seulement deux changements, elle aurait pu opter pour la ligne 9, station La Muette.
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