En 1975 débute le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, frère de Jean-Jacques, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes…
Ivan Jablonka serait-il devenu un spécialiste des frères Goldman, de Jean-Jacques et de Pierre ? Je continue à penser qu’on a été trop sévère avec cet historien dont le livre sur Jean-Jacques Goldman ne méritait pas l’opprobre dont on l’a accablé, à commencer par l’hostilité de son modèle lui-même qui a délégitimé l’ouvrage.
Quand sur Pierre Goldman, Ivan Jablonka s’interroge en se demandant si « les intellectuels qui croient au mythe Goldman admirent un rebelle ou sanctifient leur jeunesse », à l’évidence il pose une bonne question mais elle n’épuise pas le sujet. « Le Procès Goldman« , dont le réalisateur Cédric Kahn a écrit le scénario avec Nathalie Hertzberg, est remarquable et apporte une pierre décisive au débat sur Pierre Goldman. Et en particulier sur sa culpabilité ou non pour le double meurtre en 1969 dans la pharmacie du boulevard Richard Lenoir, qu’il contestait avoir commis. La première cour d’assises n’avait pas cru à ses dénégations. Le second procès à Amiens s’est déroulé en 1976, dans une ambiance intense, surchauffée, dans un climat politique et médiatique largement en faveur de l’acquittement. Il ne fait aucun doute, malgré les quelques libertés que les scénaristes ont prises avec la réalité judiciaire, que cette pression collective a joué au bénéfice de l’accusé. Le film est exceptionnel d’intelligence, de profondeur et aussi d’équité et d’impartialité.
Le rythme, la qualité des échanges, leur intensité, les fureurs ou la froide rationalité de Pierre Goldman, son ironie cinglante, la présidence de la cour parfois dépassée, l’avocat général très fin, mais par moments trop subtil, l’avocat partie civile pour la police, Me Garaud, l’avocat de Pierre Goldman, Me Georges Kiejman, aux débuts d’une carrière éblouissante, des acteurs, tous, sans exception, au sommet, font de ce film une œuvre emblématique, au sortir de laquelle j’ai continué à considérer que la culpabilité de Pierre Goldman était certaine. Son acquittement relève de cette justice-spectacle où une juridiction populaire est moins impressionnée par la force des éléments à charge que par la hantise de se tromper à cause de l’idéologie totalitaire et bruyante développée par les tenants de l’innocence. J’aurais tellement aimé être avocat général dans une affaire aussi tragique, si lourde de sens à tous points de vue. D’abord parce que pour un accusateur public rien n’est plus exaltant que de s’opposer à un accusé maîtrisant parfaitement le langage et doué pour une dialectique qui abandonnait vite le terrain judiciaire (dangereux) pour l’idéologie, par exemple anti-police et complotiste. Ensuite, sans sous-estimer la portée des témoignages à charge (fluctuants certes mais indiscutables sur la reconnaissance de Pierre Goldman comme étant le tueur), j’aurais beaucoup insisté sur le comportement de ce dernier lors des audiences. Attitude qui, derrière l’humanisme sec, le verbe révolutionnaire, les protestations d’innocence, l’indignation face au grief d’avoir porté atteinte à la vie d’autrui, faisait apparaître en toile de fond, la haine, le mépris envers ces gens ordinaires qui n’appartenaient pas à l’élite de ces romantiques politisés. Eux, prêts à tout et pour qui un double meurtre, accompli dans le cadre d’un braquage parce que l’argent manquait, était banalisé, ne prêtait pas à conséquence, était justifié par le pragmatisme criminel. Cette perception n’aurait pas rendu caduque la vraie souffrance d’un Pierre Goldman, fils d’un père juif polonais devenu un héros de la Résistance en France, mais fils désespéré de n’être pas mort pour une Histoire qui lui aurait donné moins de détestation de soi.
Quand j’ai regardé ce film admirable, j’avais déjà été influencé par la publication en 2005 du livre de Michaël Prazan, Pierre Goldman, le frère de l’ombre, une biographie étayée et très éclairante de Pierre Goldman où notamment les preuves de son implication dans le double meurtre paraissaient solides. Une fois le cinéma quitté, j’ai été interpellé aimablement par un couple qui m’a questionné sur le film. J’ai répondu en substance ce que j’ai écrit dans ce post. L’épouse m’a répondu que Pierre Goldman avait été assassiné par l’extrême-droite. Je ne voyais pas en quoi cette certitude pouvait avoir la moindre incidence rétrospective sur sa culpabilité pour les meurtres. Ce qui montre bien que si longtemps après, il fallait encore pour certains que l’autre Goldman fût innocent. Je ne reprocherai jamais au film de n’avoir rien cédé à la démagogie et à la complaisance.
20 minutes pour la mort : Robert Brasillach : le procès expédié
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