La belle blonde était condamnée avant même que son film sorte en salle. Les aventures d’une poupée stéréotypée ne pouvaient être, de nos jours, qu’un manifeste wokiste pour néoféministes. C’est tout l’inverse : Barbie déteste le politiquement correct ! Et c’est un blockbuster.
Ce film s’annonçait comme le pire navet hollywoodien des années Biden. Pouvait-on attendre autre chose de la poupée Barbie, reine du consumérisme et du conformisme ? Si l’on se donne la peine de le regarder au second degré, ce blockbuster de l’été, qui a engrangé plus d’un milliard d’euros au box-office mondial, s’avère être tout sauf la pochade politiquement correcte que l’on redoutait.
Depuis des années, son fabricant, le groupe Mattel, ne ménage pas ses efforts pour la mettre en règle avec la cancel culture et faire oublier que, dans toutes les facultés de sociologie de la planète, on est persuadé qu’elle a été inventée (en 1959) par de perfides valets de l’Oncle Sam afin de fixer la domination blanche dans l’esprit des petites filles dès le bac à sable.
Pour complaire à l’impératif d’inclusivité, le petit mannequin californien de 29 centimètres, qui s’est encore vendu l’an dernier à plus de 60 millions d’exemplaires sur les cinq continents, se décline désormais en d’innombrables carnations, teintes de cheveux, morphologies. Certains modèles portent même le sari ou le boubou (apprécions toutefois qu’il n’existe aucune version voilée), voire se déplacent en chaise roulante ou arborent un crâne rasé pour cause de chimio.
Interdit en Algérie, au Liban et au Koweït
Mieux encore, Barbie se présente comme une icône féministe qui « choisit sa vie », s’épanouit dans des métiers gratifiants (médecin, éleveuse de chevaux, astronaute…), conduit une puissante décapotable quand elle ne pilote pas son propre jet privé, affiche sa réussite en habitant une villa à l’esthétique certes un brin trumpiste, mais dans laquelle le patriarcat n’a pas sa place puisque les lits doubles y sont proscrits, et la salle de bain, organisée autour d’une coiffeuse rose fuchsia où même le mâle le plus déconstruit n’oserait pas s’aventurer. On peut comprendre que le jouet préféré du monde libre agace nombre de dirigeants musulmans, et qu’en Algérie, au Liban et au Koweït, on ait interdit la projection du long-métrage qui lui est consacré.
Seulement le film Barbie ne raconte pas exactement la même histoire que la poupée Barbie… À première vue, certes, l’action semble se dérouler avec la même héroïne et dans le même univers de rêve que celui décrit ci-dessus. Interprétée par Margot Robbie, Barbie est une femme libérée, ni épouse, ni mère, ni ménagère. Son petit ami, Ken, incarné par Ryan Gosling, est un beau gosse au ras des pâquerettes, ne pensant qu’à sourire et à lui plaire. Comme tous les autres garçons du cru, il ne possède ni maison, ni véhicule, ni métier, ni pénis. À se demander si on n’a pas le paradis de Sandrine Rousseau sous les yeux.
Sauf que, pour la réalisatrice Greta Gerwig, qui vient du cinéma indépendant, le pays de Barbie, où les femmes dominent sans partage et les hommes sont leurs simples faire-valoir, est une dystopie aussi grotesque qu’invivable. Les personnages y sont trop niais, le puritanisme, trop obligatoire, les angoisses existentielles, trop taboues (l’héroïne casse ainsi l’ambiance d’une soirée en s’exclamant qu’elle a peur de la mort). Comme une enfant, Gerwig joue avec sa poupée et montre, à force gags hilarants et de dialogues à double sens, que la vie fantasmagorique de Barbie est une caricature inversée du monde réel.
Ken, le perdant du système
Arrive alors le basculement de l’intrigue. Au milieu du film, Ken finit par se rendre compte que, derrière sa félicité apparente, il est un homme sous emprise, un citoyen de seconde zone. Armé d’une canne de golf et vêtu d’une ceinture de champion de boxe, il lance une mutinerie contre l’ordre établi. La bêtise avec laquelle il mène son combat offre à Gosling ses meilleurs moments comiques. Certains critiques y ont vu une satire contre les militants masculinistes. Ils n’ont rien compris. Car ne l’oublions pas, le monde de Barbie est un cliché en négatif du nôtre…
Au pays de Barbie, Ken, ce mâle occidental, blanc, hétérosexuel et valide n’est pas le responsable des injustices sociales, des violences structurelles et des atteintes à l’environnement. Au contraire, il est le perdant du système, le symbole de toutes les causes intersectionnelles. Avec son statut de victime rebelle, il permet à Gerwig de se moquer clandestinement des néoféministes. Gosling joue d’ailleurs si bien le révolutionnaire d’opérette, inculte, narcissique, capricieux, qu’on finirait par croire qu’il a préparé son rôle en faisant un stage d’observation au sein du mouvement MeToo.
Passons à la séquence suivante. Contre toute attente, Ken est parvenu à renverser le pouvoir en place. Il instaure une tyrannie viriliste, où règnent bientôt l’immaturité et la satisfaction de soi. Un régime où l’écologie n’est pas en reste, puisque les hommes, désormais maîtres des lieux, font sculpter quatre bustes de chevaux sur le mont Rushmore. Qu’on se rassure, face à tant de niaiseries, Barbie et ses amies parviennent facilement à mettre fin au coup d’État.
La morale est sauve. Ken concède sa défaite. Un lot de consolation est demandé pour les ex-putschistes : un siège à la Cour suprême. Refus poli de la présidente, qui veut bien commencer par accorder un petit poste de juge de paix à l’un des anciens insurgés. D’accord pour l’égalité des sexes, mais à condition d’y aller patiemment, au rythme du réformisme conséquent, pas de la gauche coupeuse de têtes.
Et Barbie dans tout ça ? La voici qui reparaît dans l’épilogue. Après avoir sauvé son pays imaginaire de la chienlit progressiste de Ken, la ravissante poupée choisit de devenir une simple mortelle et d’aller vivre sur Terre. Barbie n’est pas sotte, elle sait de quoi notre monde est fait. Et c’est en connaissance de cause qu’elle troque, à rebours de l’idéal transhumaniste, son anatomie de silicone contre un corps en chair et en os. Et en ovaires, devrait-on ajouter. Son premier geste, en tant qu’être humain, est d’aller voir… un gynécologue. Elle rayonne. Fière de l’apanage naturel des femmes dont elle est désormais dotée. À n’en point douter, une future scène culte dans les milieux bio-conservateurs.