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Le problème du PS est darwinien


Le problème du PS est darwinien

Hybride d’un techno et d’un intello, pur produit de la méritocratie française, ami de Nicolas Sarkozy, Martine Aubry et des patrons de toutes obédiences, Minc, « homme de l’ombre » à la française, commente le jeu politique dont il est aussi un acteur.

Vous définissez-vous toujours comme un « libéral de gauche » ? S’agit-il d’une espèce mutante ou de la version chic du « cœur à gauche-portefeuille à droite » ?
Je comprends telle que je vous lis que vous ayez du mal à percevoir ce qu’est un libéral de gauche. Être un libéral de gauche, c’est posséder un mauvais chromosome, atypique dans l’ADN politique ; c’est croire que l’intérêt général existe en dehors du marché mais que l’Etat n’est pas l’expression naturelle et exclusive de cet intérêt général.

On voit bien ce qui relève de la droite et de la gauche dans votre définition mais si on peut appartenir aux deux à la fois, quel sens conserve cette division ?
J’aurais du mal à définir précisément les idées de gauche et les idées de droite mais plus le temps passe, plus j’observe qu’il y a des gens de gauche et des gens de droite. Disons qu’il existe deux sensibilités à l’intérieur du monde civilisé. La permanence demeure, viscérale, dans les comportements : 45 % des Français ne voteront jamais à droite et 45 % ne voteront jamais à gauche. Et c’est bien une affaire d’ADN. En vieillissant, je finis par croire que l’état de nature prend le pas sur l’état de culture. De même qu’on est manager ou entrepreneur, on est de droite ou de gauche. D’où la difficulté des franchissements de ligne.

Venant de vous, c’est amusant ! D’accord, vous avez dû renoncer au Flore mais vous êtes un « sarkozyste de gauche » heureux, non ?
Je le répète, j’avais un mauvais chromosome. Simon Nora, l’un des hommes que j’ai le plus révéré au monde, me disait : « Il est plus douillet d’être la gauche de la droite que la droite de la gauche. »

L’ensemble de la classe politique et de l’intelligentsia s’est penchée avec plus ou moins de gourmandise sur le cas du PS, les diagnostics allant de la A au coma dépassé. Quel est le vôtre ?
Il y a deux PS. Le premier est respectable, profond, puissant. Même après les régionales, il dirigera au moins la moitié des régions, il tient deux tiers des villes et des départements et les gère bien. Et puis, il y a l’appareil national où l’on voit des gens s’affronter pour un hypothétique pouvoir dont on se demande s’il intéresse les « grands élus ». Au fond, ceux-ci veulent veut que leur parti soit au deuxième tour de la présidentielle parce que quand il ne l’est pas comme en 2002, la légitimité locale elle-même est entamée, mais cela ne les dérange pas vraiment que leur candidat fasse 47 %. Avec la droite au pouvoir à Paris, un président de région socialiste reçu à Matignon se voit dérouler le tapis rouge. Si le Premier ministre était Vincent Peillon ou Arnaud Montebourg, il arriverait par l’entrée de service.

À nous les provinces, à eux Paris : comme Marcel Gauchet, vous pensez que le PS s’est résigné à la division des tâches ?
On peut gagner une élection nationale par hasard et d’ailleurs, c’est par hasard que le PS a emporté sa seule victoire depuis 1988, après la dissolution Chirac-Villepin de 1997. Il est donc absurde de croire que l’affaiblissement de l’appareil national disqualifie le PS pour la présidentielle. De plus, il existe aussi la possibilité d’une faute de l’adversaire. Mais gagner sur un projet, c’est une autre histoire. En 1981 et en 1988, les socialistes étaient porteurs de projets, parfaitement antinomiques au demeurant : 1981, c’est l’Alternance avec une majuscule, 1988, c’est la France de Marc Bloch[1. Alain Minc fait allusion à cette phrase célèbre de l’historien : « Il y a deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims, ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. »]. C’est d’ailleurs l’équation de toute deuxième candidature : Mitterrand en 1988, Chirac, grâce à un concours de circonstances hallucinant en 2002. Et ce sera celle de Nicolas Sarkozy en 2012.

Il est peut-être dommage qu’elle ne soit pas aussi celle des premières candidatures. D’ailleurs, elle l’est. Dans le verbe. On gagne en coiffant le bonnet phrygien : la victoire de Sarkozy est due au verbe de Guaino.
Pas du tout ! C’est le pari faustien de Sarkozy de ramener les électeurs du Front national qui s’est révélé gagnant, la musique de Guaino n’a fait que l’accompagner. On se fait élire la première fois en rassemblant son camp, la deuxième en brouillant les repères. C’est d’ailleurs la difficulté pour le président : il doit conserver les électeurs ravis au FN, gagner une partie de ceux de Cohn-Bendit et ne pas s’aliéner une partie de la droite traditionnelle. Ce n’est pas un compas facile : il va, je l’espère, gagner, mais il faudra aller chercher les voix pour passer de 28 % à 50 % !

Quoi qu’il en soit, le système politique, en l’absence d’une opposition puissante, semble franchement déséquilibré.
La déliquescence du PS a une conséquence que peu de gens voient, c’est que les syndicats reprennent une place considérable dans le débat public. Depuis le début de la crise, Sarkozy cogère le pays avec les syndicats comme il l’aurait fait ailleurs avec l’opposition. Et ceux-ci se montrent très responsables.

Oui, dans le cadre d’un deal implicite : ils se replient sur leur bastion de la fonction publique en abandonnant à leur sort les salariés du privé. Donc le duo Thibaut/Sarko, c’est vous ?
Pour quelqu’un qui vote Sarkozy et se présente comme le dernier marxiste français – moi – c’est une situation assez favorable. Grâce à cette cogestion, les syndicats espèrent aussi retrouver une légitimité. Avec la réforme des institutions, la loi sur la représentativité syndicale est sans doute ce qui a le plus changé le visage de la France depuis 2007. De quoi s’agit-il ? D’arriver à un mouvement syndical partagé entre un pôle réformiste dur et un pôle réformiste doux. Or, pour le PS, la question syndicale est une maladie héréditaire, l’origine de son mal-être actuel. Il faut remonter à la Charte d’Amiens. Les syndicats ne pouvant être la matrice du parti de gauche, celui-ci ne peut pas être un parti de masse, ce qui surpondère le poids de l’idéologie. Mais le PS n’est pas non plus un parti marxiste car il n’est l’émanation d’aucune force sociale. Il n’est donc qu’une idéologie en quête de serviteurs.

Ou de clientèles. Mais aucun parti n’est plus l’émanation d’une classe sociale.
C’est exact. De ce point de vue, le vote écologiste est très intéressant car il est peut-être une nouvelle manifestation électorale d’une nouvelle classe sociale qui se définit moins par sa place dans le système économique que par son identité culturelle. Les électeurs des Verts sont des gens hyper-diplômés (à supposer qu’on soit hyper-diplômé à bac + 8), assez libertaires dans leur vision de la vie, assez européens et même assez écolos. Sont-ils porteurs d’un double-chromosome ou s’agit-il d’une nouvelle variante d’un chromosome de gauche ? C’est la question.

En attendant que la mutation soit achevée, on peut observer que beaucoup de pauvres votent à droite, et pas seulement en France.
Admettez qu’il est paradoxal que le parti institutionnel de la gauche soit celui qui s’intéresse le moins aux pauvres, parce que les pauvres sont passés du PC envié et honni au FN encore plus honni. N’oubliez pas que 90 % des Français ne sont pas touchés par la crise et font même leur meilleure année en termes de pouvoir d’achat : les retraités, les fonctionnaires, les salariés des grandes entreprises, ceux qu’on peut appeler « la main d’œuvre japonaise ». Mais il y a une deuxième France, « la main d’œuvre américaine », celle des intérimaires, des CDD et des salariés des sous-traitants. Au lieu de se gargariser de la « relance par la consommation », idée stupide dans un pays d’épargne, les socialistes devraient sommer le gouvernement de mieux protéger cette France-là. Seulement, cette population n’intéresse pas la gauche parce que ce n’est pas là qu’elle recrute ses bataillons électoraux.

Prononcez-vous : la maladie du PS et de la gauche, donc le remède sont-ils d’abord idéologiques ?
L’idéologie, c’est l’hérédité. Le résultat, on le connaît, c’est que les socialistes parlent à gauche et gouvernent en sociaux-démocrates de centre-droit. Ils ont toujours été comme ça et ne changeront pas. L’urgence, pour eux, est ailleurs. En monarchie républicaine, il faut d’abord produire un leader. Et le PS n’aura un leader que quand il aura changé de constitution – ce qui n’exclut nullement, je le répète, qu’il puisse gagner une élection nationale. Le parti socialiste reste parlementaire dans ses gènes et dans sa vie intérieure alors qu’il évolue dans un environnement totalement présidentiel. Tout se passe à la proportionnelle comme au parlement israélien…

Vous êtes dur…
Il est vrai que ce sont les militants qui désignent le Premier secrétaire. Mais ce fonctionnement institutionnel est à rebours de celui de la Ve République revisitée. Nous élisons le président puis le parlement, eux font l’inverse. Nulle part ailleurs qu’au PS il n’y a un nombre aussi élevé de gens qui ont plus de 130 de QI. La salle Marie-Thérèse Eyquem, où se tient le bureau national du PS, est la meilleure école politique de France. Le problème est darwinien, c’est qu’il n’y a pas de mécanisme de sélection. L’état-major du PS, c’est la chambre des Lords, il n’y a que des Lords à vie et même, maintenant, des Lords héréditaires. Dans le parti de droite, il y a un chef, il élimine, il promeut.

Vous trouvez que ça grouille de talents nouveaux autour de Nicolas Sarkozy ? Beaucoup sont remerciés sans ménagements après avoir été essorés.
S’il n’y a pas grand-monde, c’est parce que Chirac a tué une génération. Et Sarkozy est en train de fabriquer sa génération.

Admettons. Au-delà des clivages politiques, vous dénoncez souvent les manquements des élites – auxquelles vous appartenez.
Je crois que Vichy vient de Louis XIV. La grande différence entre la France et l’Angleterre est qu’en Angleterre, l’aristocratie s’est affirmé contre le roi tandis qu’en France les élites ont été produites par le Roi – et par l’Etat. Par gros temps, cela donne Vichy. Le légitimisme des élites françaises est inconcevable en Angleterre. L’élection de Nicolas Sarkozy montre que la France a changé : que ce pays où « la terre ne ment pas » puisse porter à sa tête un immigré de la deuxième génération était inimaginable il y a quelques années encore.

Etes-vous crédible quand vous vous en prenez aux patrons en évoquant une situation prérévolutionnaire ?
Dans ma « lettre aux patrons », j’ai voulu frapper les esprits. Certains sont parfois un peu autistes, non pas parce qu’ils sont plus sots ou plus réacs que leurs pères, mais parce que la financiarisation du capitalisme a changé la fonction patronale : un chef d’entreprise passe tout son temps avec ses directeurs financiers et aucun avec les syndicats. Résultat, les patrons vivent dans une bulle et n’ont aucune idée de ce qui se passe dans la société.

Et pour vous, pas d’autocritique pour avoir célébré la mondialisation heureuse ? En supposant même que l’addition soit globalement bénéficiaire, n’avez-vous pas fait peu de cas des vies et des régions sinistrées face aux glorieuses données macro-économiques montrant que le monde galopait sur la voie de la prospérité ? Autrement dit, n’avez-vous pas, cher Alain Minc, péché par idéologie ?
La mondialisation, que vous l’aimiez ou non, est l’équivalent en économie de la loi de la gravitation. Mais nous, les élites, avons survalorisé le poids du rationnel et la normalisation de la société française en pensant que les adaptations économiques seraient acceptées aussi facilement qu’elles l’étaient ailleurs. Cela dit, la situation sociale est étonnamment calme en France. Qui aurait imaginé que nous finirions le printemps avec les étudiants qui passent leurs examens, la consommation qui se maintient, l’absence de véritable violence sociale ? En vérité, je suis estomaqué par la solidité des sociétés occidentales.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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