Depuis la révolte des gilets jaunes, Emmanuel Macron a perdu la baraka. De dissolution calamiteuse en propos inadéquats ou surprenants, le président français continue de rallier les mécontents contre lui.
Rien de pire que d’inspirer de la pitié. Un sentiment détestable, surtout à l’égard d’un président de la République ayant une haute opinion de lui-même et persuadé de n’avoir jamais commis la moindre erreur politique. Pourtant je confirme la première branche de l’alternative de mon titre. De même que je maintiens la seconde, qui probablement va convaincre une majorité des lecteurs de ce billet.
Pas de chance
Le citoyen français peut accepter de laisser aller entre pitié et colère sa perception des actions d’Emmanuel Macron. Parfois il tentera de lui rendre justice mais, plus souvent, il sera dans l’incompréhension de ce président qui paraît demeurer étranger à l’impression qu’il donne, détaché de ce qui pourrait ressembler à une préoccupation démocratique. Cette sorte de superbe qu’il manifeste en toute occasion peut égarer, car elle masque le fait que sa présidence, lors du premier mandat et depuis sa réélection, a été confrontée à des crises dont il ne portait pas toujours la responsabilité. Sur le plan national comme dans le domaine international.
Faut-il rappeler les terribles épreuves liées au Covid-19, l’intense agitation des gilets jaunes, l’invasion de l’Ukraine par l’implacable Russie, le massacre du 7 octobre 2023 par le Hamas ? Et les suites apparemment insolubles d’un conflit qui s’étend à cause de pays et de groupes qui n’ont que cette seule obsession : détruire « l’entité sioniste ».
Est-il choquant, à partir d’un tel inventaire, de considérer qu’un président ainsi accablé peut légitimement susciter de la pitié même si, avec Emmanuel Macron, rien n’est vraiment simple et tout d’une pièce ? Par exemple, pour les gilets jaunes, si leur mouvement – plus qu’une émeute, moins qu’une révolution – a pris une telle ampleur c’est d’abord à cause de la désinvolture condescendante avec laquelle initialement Emmanuel Macron l’a traité. Même si par la suite – trop tard ? – il en a fait l’analyse la plus exacte, la plus lucide, en soulignant que cet épisode allait marquer durablement la vie nationale.
Cette ambiguïté qui tient au caractère d’un président répugnant à ce que le réel impose sa loi tout de suite et se mobilisant seulement quand il l’a décidé, permet d’éprouver en même temps pitié et colère. Il n’a pas de chance mais il y met du sien pour que ce soit pire encore. Il s’égare mais le destin de notre pays ne lui a pas offert un chemin de roses. Ses prédécesseurs ont connu des tragédies, du terrorisme, des catastrophes mais lui, il a tout eu et sur une large échelle. On ne peut pas raisonner en oubliant cette terrible rançon qu’il a subie et assumée.
Dissolution calamiteuse
Le principal obstacle qui l’empêche d’entretenir un rapport serein avec le pays se rapporte moins à ses déconvenues politiques qu’à sa manière de les prendre à la légère ou même en se félicitant. Il n’a pas les échecs modestes ! Pourtant les élections européennes, la dissolution du 9 juin 2024, des élections législatives contrastées avec une Assemblée nationale en trois blocs : le Nouveau Front populaire, les macronistes et la droite républicaine, le Rassemblement national, ne peuvent pas apparaître comme un bilan exaltant… Avec en définitive le choix de Michel Barnier comme Premier ministre d’un gouvernement composite avec des ministres macronistes et peu de ministres parmi les Républicains. Emmanuel Macron, à la suite de cette dissolution calamiteuse, se trouve dans une situation unique dans notre histoire politique. Il n’y a pas à proprement parler de cohabitation mais une configuration où le président est censé laisser faire le gouvernement, sans s’immiscer mais avec l’obligation de ne pas adopter une posture de pur opposant. Car une majorité de ministres macronistes travaillent avec Michel Barnier, même si certains renâclent et que le groupe parlementaire EPR ne cesse de lui chercher des noises.
Depuis cette dissolution suicidaire, c’est indiscutablement la colère qui domine dans l’opinion publique. On ne pardonne pas au président d’avoir joué le destin du pays sans mesurer les conséquences probables, dangereuses. Le pire est qu’il continue à être satisfait de lui puisque, devant quelques députés de son camp reçus à l’Élysée, il a osé maintenir que la dissolution était la seule chose à faire… Laissant ses invités dépités, encore plus pessimistes qu’à leur arrivée !
Il y a chez notre président, par ailleurs, une absence totale d’intuition pour ce qui devrait être le moment juste et adéquat d’une décision. Son propos sur l’arrêt de la livraison d’armes à Israël, le 6 octobre – la veille donc de la commémoration de la barbarie du 7 octobre 2023 – relevait d’une pure indécence, d’un manque surprenant de délicatesse internationale et d’empathie pour Israël. Ce que les huées du Crif le 7 octobre, quand le Premier ministre a évoqué son nom, ont largement démontré.
Pitié et colère donc.
Et la reconnaissance surtout, chez cette personnalité d’exception (pour le meilleur comme pour le pire), d’une incroyable capacité à mettre de l’ivraie dans le bon grain et à sauver parfois le bon grain de l’ivraie.