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Le préfet était en Noir


Le préfet était en Noir

Apparemment, personne n’a été sensible aux commentaires particulièrement hilarants qui ont accompagné la nomination, comme Préfet des Bouches du Rhône, de Pierre N’Gahane. Nomination qui n’a rien à voir, bien sûr, avec le torrent revendicatif déclenché en France par l’élection d’Obama aux Etats-Unis, ainsi que l’a affirmé Elysée. Donc, cet estimable fonctionnaire a commencé la journée comme le premier « préfet noir » de France, terme employé sur le perron de l’Elysée par Michelle Alliot-Marie et repris à la volée sur les ondes et les sites internet jusqu’à ce que Devedjian ramène tout le monde à la raison. « Ce n’est naturellement pas le premier préfet noir que nous avons, mais c’est sans doute le premier préfet d’origine étrangère, les autres étant d’origine antillaise et donc français depuis Louis XIV », a-t-il déclaré. Cette évidence n’ayant pas frappé grand-monde, il a fallu un rectificatif de la place Beauvau précisant qu’il y avait eu « des préfets antillais » pour que les journalistes, avec un bel ensemble, se mettent à évoquer le « premier préfet noir d’origine africaine », puis le « premier préfet d’origine africaine », désignation convenable qui faisait consensus en fin de journée, ce qui n’est pas très gentil pour tous les préfets venus d’Afrique du nord, notamment pour Aïssa Dermouche. Celui-ci avait d’ailleurs connu des péripéties linguistiques comparables à celle de Pierre N’Gahane : on avait applaudi à la nomination d’un « préfet musulman » avant de se rallier à l’appellation « issu de l’immigration ». En tout cas, vous voyez bien qu’on n’est pas racistes : on ne parle que de ça.

À part ça, je n’ai évidemment rien contre le recrutement d’un préfet noir, et je suis même prête à admettre qu’à compétences égales, on puisse lui donner la préférence pour cause de symbole et de réparation des injustices passées, bien qu’il soit douteux qu’on les répare en les inversant. En somme, ce serait chacun son tour. Passons. Ce qui me gêne, c’est qu’on le dise. À France Télévisions et à Radio France, on a nommé il y a quelques années des conseillers à la diversité, qu’on pourrait tout autant qualifier d’experts aux affaires indigènes, et dont on se demande à quoi ils servent. Si les hautes autorités de la radio et de la télévision publiques pensent que leur personnels doivent être « représentatifs » de la « diversité » française, elles n’ont qu’elles n’ont qu’à recruter des salariés visibles[2. De ce point de vue, la radio est défavorisée, car enfin, on ne peut toute de même pas claironner à l’antenne : « Et maintenant, je vous laisse en compagnie de John Doe, journaliste noir ».] sans faire tout ce foin. À moins, évidemment, que le seul objectif des symboles, mesures et actions volontaristes dont on nous rebat les oreilles ne soit, justement, de susciter du tintamarre. D’ailleurs, peut-être aurons-nous droit à un Grenelle de la diversité. On murmure qu’un Petit livre de la diversité pourrait bientôt voir le jour, de même qu’un Nobel de la Diversité. Il reste maintenant à espérer que le secteur privé s’emparera de ce gisement d’emplois et que l’on verra apparaître sous peu des consultants en diversité et des agences de notation en diversité. On peut même pronostiquer la naissance d’une vaste mobilisation en faveur d’une croissance diverse – à vrai dire, si elle était visible, ce serait déjà pas mal. Il faut dire que c’est une chouette cause avec laquelle on ne court pas le risque de d’avoir à affronter une opposition, parce que des gens qui luttent pour l’uniformité, moi je n’en connais pas.

Cette mobilisation pour la défense d’une idée que personne n’attaque ne laisse pas d’être mystérieuse. Que je sache, personne ne s’oppose, en tout cas ouvertement, à l’accession de Noirs et d’Arabes à des postes de responsabilité. L’immense majorité des Français ne vote pas en fonction de la couleur de la peau et c’est tant mieux. L’enjeu de cette polémique consensuelle doit donc se nicher ailleurs. C’est Louis Schweitzer qui a mangé le morceau sur RTL, nous apprend l’excellent Marcel Meyer (qu’il en soit remercié). Le problème, selon le patron de la Halde, ce n’est pas la réalité mais la représentation de la réalité. « On ne représente pas la société telle qu’elle doit devenir. » Nous y voilà. On ne va pas continuer à décrire le monde tel qu’il est, il faut désormais le dépeindre tel qu’il devrait être. Changeons le peuple – cette proposition orwellienne me rappelle quelque chose. Dans mon jeune temps, cela s’appelait l’idéologie.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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