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Le prêche de Tillinac


En preux chevalier qu’il est et amoureux des causes perdues, Denis Tillinac nous délivre des considérations inactuelles, pompeusement sous-titrées scandaleusement antimoderne. Dans ce faux précis de morale aux allures de catalogue Manufrance, l’écrivain corrézien nous dresse le palmarès de ses goûts et dégoûts dans une société post soixante-huitarde qu’il rejette totalement. Le style de Tillinac demeure pourtant un enchantement mais on est tout de même pris d’étonnement et d’agacement à l’énoncé de certains principes.

D’abord qu’un esprit aussi avisé que le sien nous refasse le coup du réac de service, c’était tentant, avouons-le, mais fallait-il vraiment succomber à cette tendance éditoriale ? La mode est propice à cet enfilage d’idées convenues censées remobiliser le citoyen lambda enfermé dans la prison du « politiquement correct ». A défaut d’être original, Tillinac redit (un peu mieux que les autres, à vrai dire) sa détestation des mots se terminant en « isme », de l’esprit enfumé de Mai 68, des encartés vindicatifs, de la « flicaille militante » et « des lendemains qui chantent ». On n’en attendait pas mieux d’un homme de droite auquel il préfère substituer aujourd’hui le qualificatif de « réac ». Si ça lui fait plaisir, pourquoi pas ?

Les lecteurs du Figaro s’en pourlèchent déjà les babines d’aise. Tillinac va une fois de plus taper avec ferveur sur tous les concentrationnaires en puissance dans un reste virulent de son anticommunisme. L’écrivain ne renie jamais ses amours de jeunesse, on l’aime aussi pour ça. Une question se pose pourtant très rapidement : à qui s’adresse un tel ouvrage ? Assurément à ses admirateurs nombreux qui apprécient sa plume nostalgique.
Le problème, c’est que dès le prologue, Tillinac souhaite destiner ce livre aux jeunes générations. Il veut les mettre en garde contre les faux-semblants, les passions éphémères et la vulgarité ambiante. Il ne manque cependant pas de culot lorsqu’il lui plairait « qu’une autre génération ne se laisse pas flouer comme la sienne ». On s’étrangle. Qui mieux que les soixante-huitards actifs ou non ont profité pleinement de ces quarante dernières années confisquant pêle-mêle le pouvoir économique, politique, culturel tout en obstruant l’avenir par leur gloutonnerie.
Le chômage, la précarité, les difficultés de logement, qui a payé la facture ? Certainement pas les étudiants de Mai 68. Plus loin, Tillinac fustige cette génération passée de la case « gaucho » de pacotille à « bobo » qu’il estime bien peu mais dont il fait partie, qu’il le veuille ou non. L’inconvénient de ce précis fourre-tout, c’est qu’on fait perpétuellement le grand écart entre envolées lyriques sincères et naïvetés suspectes. Tillinac appelle notamment à l’émergence de nouvelles élites, on applaudit avec lui des deux mains. Notre société crève d’un manque de renouvellement de ses « cadres ». On partage également son sentiment profond sur ce que devrait être un véritable homme politique. Nous sommes attachés comme lui au code d’honneur et à la chevalerie.

Tillinac exhorte donc les jeunes à s’engager derrière « celui qui semble capable de plaquer illico les palais officiels pour s’adonner à une autre passion ». Il dessine sûrement en filigrane le portrait de Chirac ou Sarkozy, ces stakhanovistes du pouvoir qui ne vivent que pour et par lui et que l’écrivain a soutenus. Sa naïveté atteint des sommets d’incompréhension quand il lâche, péremptoire « ni l’économie ni la finance ne sont les ennemis du genre humain ». On parie ? Ou mieux encore « Ne perds pas ton temps à contester la société dite de consommation ou du spectacle : déserte-là ». Facile à dire, quand des milliers de jeunes survivent à peine, la désertion est un luxe. Plus fort : « Pourquoi pas l’aventure économique ? Mais en t’y vouant avec intrépidité, ludisme et esprit mousquetaire, un pour tous, tous pour un ».

Ce boy-scoutisme, aussi touchant soit-il, semble bien éloigné des réalités sociales de notre pays et de sa profonde décrépitude. La lecture de ce bréviaire est surtout l’occasion pour Tillinac de dessiner les contours de sa France fantasmée. Son côté midinette de service le rend éminemment sympathique quand il prend la défense de Churchill, du Général, de Don Quichotte, de ses ancêtres ou des maisons de famille. Il préférera toujours Dumas à Sartre. Rien d’étonnant alors à ce que Tillinac exalte un « halo de religiosité » qui nimberait la moindre de nos émotions et conspue en vrac l’art contemporain, les psys, le cosmopolitisme, l’égalitarisme et les masses dangereuses.

Si comme dans Cyrano, son analyse politique nous paraît un peu courte, on le suit plus volontiers sur le terrain des affinités littéraires et des mélancolies. Il y a peu d’écrivains qui vantent si bien les vertus de la solitude ou de ce merveilleux triptyque composé de l’amour, de la liberté et de la poésie. Et puis un écrivain qui ose utiliser le verbe « musarder » est aimable à plus d’un titre. Si ses considérations inactuelles ne nous convainquent pas vraiment, elles nous donnent furieusement envie de nous replonger dans ses romans. Car ce chantre d’Elvis et de Simenon excelle dans la description des langueurs provinciales, que ce soit du côté de Souillac ou en Angleterre, le temps d’un été.

Denis Tillinac, Considérations inactuelles, Plon



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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