Frédéric Schiffter signe parfois dans Causeur mais il fait surtout du surf quand il n’est pas professeur de philosophie. Il s’agit, en fait, d’un merveilleux nihiliste balnéaire qui refuse tous les dogmatismes. Il s’est longtemps targué d’être « l’essayiste le moins lu de France » à l’époque où il publiait son Contre Debord, ses Pensées d’un philosophe sous Prozac ou encore ses réflexions Sur le Blabla et le Chichi des philosophes. En 2010, le prix Décembre s’est chargé de le contredire en le couronnant pour Philosophie sentimentale. Son dernier livre, La beauté, sous titré « Une éducation esthétique » est une introduction idéale à l’œuvre de ce dilettante au sourire aimable, désespéré et d’une extrême civilisation.
Il y a une méthode Schiffter pour traiter des grandes questions. Elle consiste à cacher une extrême érudition, une armature théorique très solide sous les apparences de la plus charmante des conversations et de variations autobiographiques sur le flirt, la cinéphilie, les après-midi de lecture, les automnes à Biarritz. D’une certaine manière, la beauté est déjà dans cette méthode. Un livre philosophique sur la beauté est en effet rarement beau. Le philosophe universitaire, espèce honnie par Schiffter comme l’est aussi le philosophe médiatique qui confond la pensée et le développement personnel, appartient à ce genre de pervers qui, lorsqu’ils voient une jolie fille s’exclament : « Tu as vu cet admirable squelette, ce crâne ! Tu auras beau dire, les brachycéphales, c’est tout de même quelque chose ! »
La beauté, selon Schiffter, existe toujours. Elle est là, à portée de cœur, souvent parée de la discreción chère à Baltasar Gracián. Seulement, comme les cabines téléphoniques, elle est en voie de disparition. Non pas parce qu’elle n’existerait plus mais parce que les conditions pour l’éprouver et en jouir deviennent de plus en plus difficiles à réunir. Il faut ainsi, entre autre, aimer le silence et savoir se situer hors du temps, attitude que Schiffter appelle « achronique », ce qui est particulièrement difficile dans un monde connecté à lui-même vingt-quatre heure sur vingt-quatre dans un présent perpétuel sans mémoire.
Si Rimbaud, (Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée,) Dada et les Surréalistes ont fait semblant de ne pas l’aimer, c’était déjà pour mieux lui redonner des couleurs dans un temps où la bourgeoisie la figeait dans des formes académiques. Le véritable ennemi de la beauté, pour Schiffter, aujourd’hui comme hier est ce que Schopenhauer appelait « le Philistin ». Pour le Philistin la fréquentation de beauté n’est jamais une expérience intérieure mais un spectacle fléché comme un son et lumière, une obligation sociale alors que Schiffter est plutôt et définitivement du côté du grand poète Philippe Jaccottet :
« Elle n’est pas non plus donnée aux lieux étranges
mais peut-être à l’attente, au silence discret ;
à celui qui est oublié dans les louanges
et simplement accroit son amour en secret. »
Frédéric Schiffter, La beauté (Autrement, 14 euros)
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