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Le pluriel ne vaut rien à l’homme


Le pluriel ne vaut rien à l’homme
Les gens, quand y en a un, ça va. C'est quand ils sont plusieurs que ça commence à poser des problèmes.
Les gens, quand y en a un, ça va. C'est quand ils sont plusieurs que ça commence à poser des problèmes.
Les gens, quand y en a un, ça va. C'est quand ils sont plusieurs que ça commence à poser des problèmes.

D’accord, Brice Hortefeux aurait mieux fait de se taire. D’accord, son commentaire sur ceux qui posent des problèmes lorsqu’ils sont beaucoup pose problème. D’accord, on peut trouver ça pas très classe, et même un peu xénophobe, voire même carrément raciste sur les bords, quelles que soient les circonstances estivales et décontractées dans lesquelles ces propos ont été prononcés.

D’accord, d’accord, d’accord. Trois et mille fois d’accord. Mais quand même.

Quand j’y réfléchis un peu tout seul dans mon coin, je me dis qu’au premier, au deuxième ou au douzième degré, il y a quand même un peu de vrai dans ce qu’a dit le ministre. Un peu, hein, pas tout ! Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! D’abord, je n’ai rien dit encore. Ce que j’ai dit, je vais plutôt le dire maintenant, pour que ce soit bien clair : les gens c’est souvent lorsqu’ils sont beaucoup qu’ils posent problème. C’est chez moi un vieux fond misanthrope qui me fait détester a priori les meutes de souchiens forcément très beaufs dans le genre de Brice Hortefeux et ses supporters (détestation qui va de soi pour un bobo dans mon genre), mais aussi certaines bandes à dominante maghrébine qui fréquentent ma riante banlieue.

Car je l’avoue sans fard (je dis sans fard, même si Piffard c’est un pseudonyme, je sais, je sais, courageux mais pas téméraire), les Arabes, perso, dans mon coin de banlieue, je préfère les rencontrer seul à seul plutôt qu’en bande. Seul à seul, je l’ai souvent remarqué, le Français d’origine maghrébine se montre dans l’ensemble beaucoup moins lourd, beaucoup plus poli et plus ouvert à la discussion interculturelle que lorsqu’il se promène en bande dans Rosny 2 par exemple. C’est comme ça, vous pouvez prendre ça pour un affreux cliché raciste (mais quel cliché n’est pas affreux ou raciste de nos jours ?), surtout sous cette forme un brin provocatrice, mais ça me semble assez irréfutable. Que ceux qui en doutent se rendent devant la FNAC au niveau 2 dudit centre commercial samedi prochain sur le coup des 18 h 30 pour comprendre de visu ce que je veux dire par là.

Mais je le constate en regardant la fameuse vidéo, ce qui est vrai pour les Arabes est vrai pour les militants UMP, qui ne sont pas encore tous d’origine maghrébine. Un militant UMP égaré dans ma banlieue-est, rencontré au hasard comme ça, je n’aurais rien contre. Cela exercerait sur moi, je pense, l’attrait de l’exotisme. Mais en joyeuses bandes rigolardes et décomplexées, comme à Seignosse dans les Landes le 5 septembre dernier, je crois que j’aurais un peu de mal. Comme dit le ministre, « quand il y en a un ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ».

Il n’y a pas que les militants UMP ou les jeunes Maghrébins cependant. Que dire des Américains, qui déferlent en bande à Bagdad ? Que des problèmes ! Les hordes de teufeurs d’outre-Rhin qui massacrent à coup de décibels les crapauds lors des love parade berlinoises ? Des problèmes ! Et les groupes de hooligans hollandais ? Encore des problèmes ! Et les Chinois qui pourchassent en meute les Ouighours dans le Guangdong ? Encore et encore des problèmes. Et les Ouighours et les Tibétains qui lynchent des Hans dans les rues d’Urumqi ou de Lhassa ? Toujours des problèmes !

Bref, c’est l’humanité dans son ensemble qui lorsqu’elle se promène en meute devient vite très très problématique, pour elle-même et pour le reste de la création. C’est comme ça depuis la nuit des temps, et il n’y pas de raison pour ça s’arrête. Le collectif pose problème. C’est même pour cela qu’il y a quelques millénaires la politique a été inventée. Pour que les groupes humains se distinguent le plus souvent possible de la meute. Pour que le collectif ne s’abime pas dans la horde primitive.

Et la horde primitive, le ministre Hortefeux la voit aujourd’hui à l’œuvre. Elle lui aboie copieusement sa morale dessus, au ministre. Elle le rappelle à l’ordre. Cela ne paraît frapper personne cette inversion des rôles. N’en déplaise à Foucault, ce n’est plus le pouvoir qui surveille et punit, mais l’opinion et ses représentants, et personne ou presque pour s’en apercevoir. Il faut dire qu’il est dur d’aboyer et de penser en même temps. J’ai essayé hier, en jouant à Tintin et Milou avec mon fils. J’aboyais bien fort, à quatre pattes sur le parquet de mon salon, tout en pensant à cet article. C’était nul. J’ai dû tout reprendre de zéro ce matin. La pratique de la curée médiatique s’accommode mal de la distance. C’est même le contraire de la distance puisque chacun se rue sur la proie qu’il déchiquète. Pas facile dans ces conditions de garder un semblant d’objectivité à l’égard de son sujet. Et aujourd’hui dans les médias c’est la curée permanente, au nom de la morale, ce qui rend cette curée plus haïssable encore. La prétention à la vertu, lorsqu’elle redouble la violence, n’est qu’une violence de plus.

Hortefeux est sommé de toutes parts de s’excuser et de s’amender, de reconnaître son crime. Sans les aveux extirpés au criminel, le rituel purificateur n’est pas achevé. Pour une fois qu’on tient un raciste, on ne va pas le lâcher comme ça ! Il paraît même, les puritains de l’antiracisme s’en pourléchaient ce matin sur France Inter, que le Président, soucieux de tenir la meute à distance, a interdit l’humour à ses ministres ! Fini de faire les malins devant les militants, aurait-il tonné !

Naguère on stigmatisait la langue de bois, aujourd’hui on la réclame. La meute ardente, sûre d’elle-même et d’être du bon côté du manche, rigolarde parfois, gronde encore. On stigmatise à l’envi le « dérapage ». C’est la grosse éclate chez les journalistes. Chacun dans son genre s’en donne à cœur joie. On lit ici et là sous des plumes émoustillées que le ministre de l’Intérieur a été pris en « flagrant délit » de dérapage. Douce vengeance ! Le Monde le rappelle sévèrement et austèrement à son devoir. Le triste pitre Guillon met dans la bouche du ministre les blagues racistes qu’il n’a jamais dites. Une façon commode de nous fait rire d’un double rire, deux fois méchant, puisqu’il est à la fois raciste et antiraciste. Merci à Guillon de nous permettre d’entendre à la radio des blagues racistes qu’heureusement plus personne n’ose raconter en public, sauf toutefois quand on peut lâchement les mettre dans la bouche d’un autre.

Un ministre, ça devrait déraper plus souvent, moi je vous le dis. On se fendrait plus souvent la poire. Rien de plus marrant qu’un type qui se casse la figure. Rien de mieux, pour se tenir chaud tous ensemble qu’un bon petit lynchage médiatique. Surtout quand c’est un ponte qui en est l’objet. On n’a plus si souvent l’occasion de rigoler. Les temps sont durs.

La curée s’achève. On sait maintenant ce que le ministre a dans le ventre, et ça ne sent pas bon, dit-on littéralement chez les Verts. Drôle d’époque vraiment que celle qui voit les charognards reprocher à la charogne de puer.

Comme disait l’autre, les gens, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes.

Octobre 2009 · N°16

Article extrait du Magazine Causeur



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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