A droite, ceux qui sont engagés dans le « temps du combat » peuvent s’entourer de légitimes précautions et, avec Jean-Pierre Raffarin, attendre « le temps de l’analyse ». Les autres ne sont pas forcés de taire leur inquiétude, et leur amertume. Les premiers sont dans leur rôle, en assurant que « rien n’est plié », les seconds ne sont pas forcés de se nourrir d’illusions. Même si le résultat de l’élection devait me détromper, je garderais cette amertume. On dit que la stratégie de Nicolas Sarkozy serait responsable du score élevé du FN. De nombreux observateurs soulignent que, par la droitisation de l’UMP, il a légitimé le vote FN. Dès les régionales de 2010, on pouvait craindre que le siphon soit bouché, qu’il reflue. Loin de contenir le vote FN, ne faisait-il pas que l’alimenter ?
Cela reste possible. Un cadre du FN convenait d’ailleurs que la proposition d’une présomption de légitime défense pour les policiers « légitimait » leur proposition identique. Mais pour ne pas accuser à la légère, il faut reconnaître que le raisonnement a ses limites : 2007 fait en effet figure d’exception. Le FN avait déjà connu des scores à deux chiffres auparavant, même s’il réalise son meilleur résultat cette fois-ci. En outre, lorsque Jean-Marie Le Pen a obtenu le score historique qui l’a fait parvenir au second tour en 2002, ce n’est pas parce que Jacques Chirac ou Lionel Jospin auraient cajolé l’électeur frontiste. Bref qu’on l’ostracise ou qu’on le draguouille, le FN suit sa voie. De plus, la montée de l’extrême droite est loin d’être une spécificité française. Elle intervient de toutes façons aussi dans de très nombreux pays européens, des Pays-Bas à la Suisse, pour des raisons étrangères à la stratégie de Nicolas Sarkozy.
Il ne peut donc pas être avancé avec une absolue certitude que la stratégie élaborée et vantée par les mauvaises consciences de Nicolas Sarkozy, Buisson et Peltier, ait fait croître le vote FN. Elle ne l’a, à tout le moins, pas contré. Elle n’a pas, comme on l’entendait, « ramené les électeurs du FN dans le giron républicain ». Cette stratégie reste contre-productive et nuisible à la droite. Elle a échoué. Certains se satisfont que le score du FN n’ait pas été plus haut. Si, en cinq ans d’exercice du pouvoir et de stratégie droitière, on en est réduits à se réjouir que Marine Le Pen ne soit pas au second tour, ce n’est qu’une autre façon de caractériser un échec.
Cette stratégie était un pistolet à un coup. Il y a quelques jours, Michaël Darmon rapportait ce propos de Nicolas Sarkozy : : »si c’est le côté protestataire qui explose vous voyez bien que l’appel aux centristes ne sera pas efficace »
Mais comment un président élu, à la tête du « système », peut-il espérer satisfaire un vote protestataire ? Si les électeurs protestent, c’est évidemment contre lui, contre le président élu, contre une situation actuelle dont le président est jugé comptable, un système dont il est le premier représentant. Ce qui a pu fonctionner en 2007 ne pouvait pas se reproduire dès lors que Nicolas Sarkozy a exercé le pouvoir. C’est bien évidemment l’une des meilleures raisons pour lesquelles le FN a toujours prospéré : il n’exerce pas le pouvoir.
Cette stratégie disait-elle vraiment son objectif ? S’agissait-il vraiment de ramener les électeurs du FN ? Nos brillants stratèges Buisson et Peltier – tous deux issus de l’extrême droite ne veulent-ils pas plutôt droitiser l’UMP sous couvert de siphonner l’électorat frontiste ?
Aujourd’hui, en admettant que cette stratégie n’ait pas nourri le vote FN, elle a indéniablement droitisé l’UMP, et ses électeurs. Il n’y a pas à chercher longtemps pour entendre autour de soi – parmi les électeurs d’une droite que l’on dira aujourd’hui modérée mais que l’on disait seulement « de droite », avant – des idées que l’on réservait auparavant aux électeurs du FN.
Nicolas Sarkozy a emmené avec lui une partie de la droite. Qu’en restera-t-il demain ? Déjà, la Droite Populaire sort les couteaux pour réclamer une place plus grande au sein de l’UMP, et dénigrer au passage l’aile humaniste. Thierry Mariani assure que le curseur d’est déplacé à droite depuis 2002.
Son constat est faux : France2 et Valeurs Actuelles nous ont rappelé que le programme de la droite d’il y a vingt ans était plus à droite qu’aujourd’hui. Autrement dit, à supposer que l’électorat se soit droitisé, ce n’est pas de sa propre initiative, mais parce qu’on l’aura droitisé, dans la mesure où les électeurs se soucient moins de la sécurité et de l’immigration que de l’emploi et du pouvoir d’achat.
Faut-il que l’UMP survive à un éventuel échec de Nicolas Sarkozy ? Faut-il maintenir un simple appareil logistique sans cohérence idéologique ? A supposer que cela soit souhaitable, l’UMP ne pourra survivre que si elle accorde une plus grande représentativité à ses différents courants, afin que soit bien identifié qui fait du saucisson-pinard tout en maniant l’insulte misogyne de comptoir; et qui est humaniste et responsable. Si les humanistes restent inaudibles, nombre d’électeurs quitteront l’UMP, sauf à rompre eux-mêmes avec leurs valeurs.
Aurons-nous pour seul choix, demain, que l’extrême droite ou la droite extrême ?
Entre les Populaires et les Humanistes, ce sont aussi deux conceptions de la politique qui s’opposent. La politique sondagière, qui pelote l’électeur et répond aux symptômes, avec une efficacité électorale temporaire, et celle qui cherche les solutions de fond et les politiques d’avenir.
Vous me trouvez manichéen ? C’est vrai que je m’accroche à l’efficacité de cette seconde conception de la politique. Pour ne pas désespérer de la démocratie.
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