À chaque fois, c’est la même chose : à peine élu, le nouveau président de la République explique, la larme au coin de l’œil, qu’il sera le président de tous les Français. Et à chaque fois, une bonne partie de ceux qui ont voté contre lui ou se sont abstenus le regardent comme un intrus, une anomalie qui doit débarrasser le plancher de l’Élysée au plus vite. Ce coup-ci, ça n’a pas manqué : François Hollande n’avait pas fini ses quelques pas de danse sur La Vie en rose, devant les Tullistes enamourés, que fleurissaient déjà les groupe Facebook « Hollande n’est pas mon président » et autres appels à la résistance. Et l’on sentait, particulièrement chez les militants UMP, la volonté de mener une guerre de harcèlement au nouveau président et de lui rendre au centuple les insultes, moqueries et marques d’irrespect qui furent le quotidien de Nicolas Sarkozy durant son quinquennat.[access capability= »lire_inedits »] Au « Casse-toi pauv’con ! » renvoyé inlassablement en boomerang au président sortant allait enfin pouvoir succéder le « Tire-toi sale flan »…
Les optimistes indécrottables diront que le sarkozysme récolte ce qu’il a semé, ou au contraire que c’est l’arrogance de la gauche morale de droit divin qui reçoit la monnaie de sa pièce, mais qu’en tout cas tout cela est conjoncturel, et qu’on finira bien par revenir un jour à cette démocratie apaisée si chère aux rêveries solitaires de Valéry Giscard d’Estaing. D’autres, moins religieusement attachés aux liturgies démocratiques, rappelleront que cette démocratie apaisée, la France ne l’a en réalité jamais connue ; et que cette division du peuple est la nature même du système, et plus particulièrement de cette élection du président de la République au suffrage universel qui se réduit toujours, in fine, à un duel, front contre front, où, pour l’emporter, il faut diaboliser l’adversaire, laisser entendre qu’on n’a rien de commun avec lui, que ce sont deux visions incompatibles qui s’affrontent − voire, depuis que l’idéologie a déserté la politique, deux morales inconciliables. Pour remporter cette « reine des batailles » électorales, il faut opposer, diviser, stigmatiser, « cliver », comme l’on dit aujourd’hui, avec l’espoir vain et enfantin que tout cela sera oublié au lendemain de l’élection et que l’on pourra régner sur un pays réuni autour de votre indiscutable légitimité. Quand, en réalité, les anathèmes et les injures laissent des blessures ouvertes, d’autant plus ouvertes qu’il faut déjà songer à les entretenir en vue des combats électoraux futurs. La revanche ne s’accommode guère de l’oubli des fautes et de la cicatrisation des plaies.
Si le phénomène est inhérent à la démocratie, il se renforce indubitablement à l’heure où l’individualisme gagne du terrain au détriment du sentiment d’une communauté de destin. Se sentant de moins en moins citoyen et de plus en plus individu, autonome et seul maître de son existence, pourquoi l’électeur qui a fait le choix minoritaire se sentirait-il tenu de considérer le vainqueur du scrutin comme son président, ou même de le respecter ? En réalité, l’électeur moderne ne saurait avoir plus de respect pour le président qu’il n’a pas choisi que pour un produit de consommation dont il n’aurait pas envie mais dont on lui impose l’utilisation. Dans les démocraties libérales avancées, le président qu’on n’a pas contribué à élire ne sera jamais qu’un plat écœurant qu’on vous oblige à ingurgiter jour après jour, pendant au moins cinq longues années. Allez-vous étonner si le peuple a de moins en moins d’appétit ![/access]
*Photo : http://leflansurlaberge.unblog.fr
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