Même si toute la bonne presse nous serine l’idée que la droite domine désormais l’espace public, les partis respectifs de Marine Le Pen, Eric Zemmour et François-Xavier Bellamy ne devraient ramasser que des miettes aux élections législatives. La faute au « cordon sanitaire », dont la gauche ne s’embarrasse pas, on l’a vu cette semaine.
On a beau savoir depuis Guy Mollet que la France a la droite la plus bête du monde, on se prend parfois à rêver que la dextre parlementaire se ressaisisse et se hisse à nouveau à la hauteur des enjeux de notre époque. Si l’on en juge par les premiers jours qui ont suivi la réélection d’Emmanuel Macron à la magistrature suprême, l’espoir de retrouver une droite rassemblée malgré ses divergences et prête à assumer pleinement son rôle de premier pôle d’opposition voire de majorité relative à l’Assemblée nationale n’est qu’une aimable chimère.
Le puzzle français
Il est pourtant d’usage depuis quelques années de dire que la France est à droite, que la droite a gagné le combat des idées. On peut se demander d’où vient cette affirmation tant elle ne se traduit pas concrètement dans les urnes. Une autre idée tout aussi fréquemment répandue est que la France serait coupée en deux, entre un bloc élitaire et un bloc populaire[i], entre la France des métropoles et la France périphérique[ii], entre les anywhere et les somewhere[iii]. Certains, à la lecture des résultats du premier tour des élections présidentielles, parlent encore d’une tripartition de notre pays entre extrême gauche, extrême centre et extrême droite, selon un clivage plus social que politique[iv]. Enfin, un émiettement total façon puzzle a été diagnostiqué par d’autres politologues[v], qui annule l’idée même de blocs sinon de circonstance. Autant d’analyses qui, loin de consacrer l’hégémonie de la droite dans l’opinion publique, indiquerait plutôt sa disparition et son remplacement par d’autres clivages (observation qui vaut pour la gauche de gouvernement, qui aurait une élection d’avance dans le processus d’effacement).
A lire aussi: La faucille et la burqa
Malgré toutes les analyses évoquées précédemment, partons de l’hypothèse que droite et gauche existent toujours, au moins sur le plan symbolique, écartons d’emblée la difficulté qu’il y a à les définir avec précision[vi], et portons notre attention sur trois figures de proue de ce qu’il est toujours convenu d’appeler la droite en mai 2022 : Marine Le Pen (que Marcel Gauchet a eu l’intelligence de déclasser de l’extrême-droite pendant l’entre-deux-tours), François-Xavier Bellamy et Éric Zemmour, c’est-à-dire MLP, FX et Z ou encore RN, LR et Reconquête, trois personnes qui ont des idées en commun, trois partis dont les frontières ne sont pas étanches les uns vis-à-vis des autres, et trois mouvements politiques qui, a priori, ne vont pourtant pas s’allier pour les législatives.
Marine, pas une idéologue
Marine Le Pen, de par sa longue carrière et sa position d’héritière d’un mouvement lancé il y a cinquante ans, est assurément la plus aguerrie des trois. Ses convictions et ses idées ne sont pas toujours très claires, c’est une pragmatique et non une idéologue ; pour ces raisons, on peut la qualifier de politique. En rupture avec son père et sa nièce, elle ne semble pas tellement goûter le libéralisme économique, à tel point qu’en fermant les yeux et en utilisant un filtre pour transformer sa voix, on croirait entendre Georges Marchais dans certaines parties des discours qu’elle prononce. En cela, elle n’est pas très éloignée du gaullisme social des années 1960 et 1970, avec, semble-t-il, une véritable empathie pour les gens, pour le peuple, peut-être alimentée par le fait qu’elle ne soit pas une intellectuelle. Ne pouvant sonder son cœur ni ses reins, on peut au moins dire qu’elle sait parler aux classes populaires autochtones, chose que peu ailleurs à droite savent faire, avec pour conséquence qu’une bonne partie des ouvriers et des employés votent pour elle, comme cela a été le cas pour tous les véritables candidats gaullistes. Si l’on voulait à tout prix reprendre la tripartition de la droite posée jadis par René Rémond[vii], et en réutilisant la qualification de « droite autoritaire, nationale et populaire » avancée par Marcel Gauchet le 13 avril dernier sur Europe 1, on pourrait classer Marine Le Pen dans la droite bonapartiste.
A lire aussi, du même auteur: Un sentiment de grand remplacement
C’est dans cette même droite bonapartiste, césariste et jacobine, qu’on classerait instinctivement Éric Zemmour (et qu’il le ferait sûrement lui-même), et il y aurait d’assez bonnes raisons à cela. Toutefois, il semble que le manque d’empathie ou tout simplement de sympathie véritable qu’on peut sentir chez lui en tant que personnage public, le classe tout autant dans la droite légitimiste établie par René Rémond. Historien, intellectuel, éditorialiste, Zemmour ne cache pas son admiration pour Chateaubriand, dont on sent qu’il est son véritable modèle bien plus que l’empereur corse. Ce sont la France éternelle, le temps long, la transcendance, la grandeur, la gloire, la nostalgie, une certaine volonté de restauration et un certain idéalisme, qui animent le chef de « Reconquête », autant de motifs et de valeurs certainement louables et qui parlent à de nombreux Français, mais autant de ressorts aussi qui le coupent d’une réalité moins glorieuse et de préoccupations plus prosaïques et actuelles dans l’électorat.
Bellamy l’intello
Nous ne ferons pas l’insulte de classer François-Xavier Bellamy dans la droite orléaniste ou libérale alors que tout dans son action politique comme dans ses livres met en garde contre les illusions de la modernité[viii] et promeut l’idée d’héritage et de transmission[ix], cette droite est intégralement passée au macronisme alors que lui est resté fidèle à la « droite républicaine » ; à défaut de mieux on le qualifiera de conservateur ouvert sur le monde. Et de penseur authentique, de philosophe si l’on ose ce grand mot, ce qui est à la fois la qualité qui le distingue du personnel politique courant et le défaut qui l’empêchera peut-être de jamais atteindre les plus hautes fonctions de l’État. À chaque fois qu’il prend la parole au Parlement européen, on se dit qu’il sauve l’honneur de la droite de par sa hauteur de vue et sa clarté de pensée comme d’élocution, et aussitôt après on se souvient qu’il a mené une liste qui n’a fait que 7% des voix aux dernières élections européennes et que son talent ne pèse pas grand-chose politiquement.
A lire aussi: Génération trans: «Je ressens donc je suis»
Une droite autoritaire et populaire, une droite soucieuse de grandeur et de son histoire, une droite intellectuelle et œuvrant à la conservation du patrimoine et des valeurs de notre pays : trois droites dont il saute aux yeux que des ponts pourraient aisément les relier à défaut de créer un nouveau grand parti les réunissant, et trois droites qui n’arrivent pas à s’entendre et qui vont conserver ensemble leur titre de « droite la plus bête du monde ». Un défaut d’incarnation peut-être chez l’historien et le philosophe qui constituerait un plafond de verre et les couperait de la base populaire, un manque d’idées et de rigueur chez la qualifiée au second tour qui la disqualifierait auprès de la bourgeoisie patriote.
En attendant de retrouver réunies en une seule personne ces qualités qui font que la droite doit pouvoir parler autant au peuple qu’aux élites, on ne peut que se désespérer de constater qu’aucun accord ne semble possible pour présenter des candidats communs et peser collectivement dans la future Assemblée nationale, quitte à former trois groupes parlementaires distincts, quand la gauche qu’on présentait jusqu’au 24 avril dernier comme irréconciliable se met en ordre de bataille pour aller à la gamelle lors des prochaines législatives. Il devient urgent de faire sauter ce cordon sanitaire…
[i] Jérôme Sainte-Marie, Bloc contre bloc, 2019
[ii] Christophe Guilluy, La France périphérique, 2014
[iii] David Goodhart, The Road to Somewhere, 2017
[iv] La France tripolaire, entretien avec Frédéric Dabi in Causeur n°101, mai 2022
[v] Jérôme Fourquet, L’Archipel français, 2019
[vi] On peut renvoyer le lecteur au numéro 7 de la revue Front Populaire pour cela : intitulé « Droite & gauche », il tente sur 150 pages de raconter l’histoire des deux forces politiques adverses depuis la Révolution et de dégager quelques grandes lignes de force pour définir chaque camp. Tâche pour le moins ardue.
[vii] René Rémond, Les Droites en France, 1954
[viii] François-Xavier Bellamy, Demeure, 2018
[ix] François-Xavier Bellamy, Les Déshérités, 2014
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !