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Le Pen avant Jean-Marie

Quand Jean-Marie Le Pen était presque « mainstream »


Le Pen avant Jean-Marie
Messe pour Jean-Marie Le Pen, église Notre-Dame du Val-de-Grâce, Paris, 16 janvier 2025 © Tom Nicholson/Shutterstock/SIPA

Jean-Marie Le Pen a finalement tiré sa révérence. Il était le dernier dinosaure de la IVème République, une époque politique depuis longtemps oubliée.


Le décès de Jean-Marie Le Pen clôt définitivement la période de l’après-guerre en France. Dernier témoin et acteur de la IVème République, dont il était l’ultime député encore vivant, Le Pen a mis du temps avant de pleinement endosser le costume de Jean-Marie. C’est peut-être cette période de sa vie, qui occupe intégralement le premier tome de ses mémoires sous le titre de Fils de la Nation, qui reste aujourd’hui encore la plus méconnue mais aussi la plus riche d’enseignements pour l’Histoire.

Une force de la nature

Véritable force de la nature, le Menhir avait tout du personnage de romans d’aventure ou de la personnalité du corsaire breton qu’il se plaisait parfois à imiter. Pupille de la nation frappé par le deuil durant la période formatrice de l’adolescence, où son père périt en mer frappé par une mine allemande au large de La Trinité-sur-Mer, ce tempérament rebelle a traversé les époques sans jamais se départir de son opiniâtreté ni d’un penchant naturel pour la transgression. Son ami de jeunesse Claude Chabrol le décrivait d’ailleurs ainsi en 1999, se remémorant leur compagnonnage au sein de la Corpo de droit : « Mais j’étais copain comme cochon avec Le Pen entre, voyons, que je ne dise pas de bêtises, entre 1949 et 1952, à peu près. Hé oui ! C’est marrant : Le Pen, c’était un fout-la-merde magnifique ! Je suis persuadé qu’il y a dans sa démarche une volonté très nette de foutre la merde. Je n’ai jamais été inquiété par le Front national, je sais pas. Mais par lui, non ! Le Pen entrerait là, on se taperait sur l’épaule, quoi, pas de doute ! Bon, faudrait pas qu’il tape trop fort, c’est un type très costaud ! »

Réduire Le Pen au personnage du « trublion » ou de l’anarchiste de droite serait néanmoins faux. Il fut bien plus que ça au cours de ses décennies de vie publique commencées très jeune, puisqu’il fut élu député de Paris à la surprise générale en 1956 à 27 ans, porté par l’élan poujadiste que connaissait alors le pays. Son deuxième de liste était Roger Sauvage, vétéran de l’escadrille Normandie-Niemen. Quelques mois plus tard, Le Pen renommé entre-temps Jean-Marie après que son épouse Pierrette lui conseilla d’adosser à son prénom de baptême Jean une référence mariale susceptible de lui attirer les grâces de la droite catholique, il obtint de l’Assemblée nationale l’autorisation de servir six mois en Algérie. Ainsi naquit la légende. Mais aussi les incompréhensions sur une personnalité dont la mentalité, les opinions et la manière d’être furent bien plus marquées par la génération de la IVème République que par celle qui suivit.

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Jean-Marie Le Pen était un homme de l’après-guerre et de la décolonisation, profondément traumatisé par les évènements d’une période qui a contraint les Français à faire le deuil de « la plus grande France ». Il fut aussi façonné par les « tribuns » et le parlementarisme agressif de sa jeunesse qui était alors ontologique de la République française. Sa proximité avec Jean-Louis Tixier Vignancour, autre figure de la droite anti-gaulliste de la période, jusqu’à appeler à voter Mitterrand contre le général ce qui provoqua la rupture avec son lieutenant Le Pen, ne fut pas que politique mais bien intellectuelle. On pourrait à ce titre emprunter ces mots écrits dans Le Monde après la disparition de ce « ténor des prétoires à la voix de Tolède » et les appliquer à Le Pen : « Quel souvenir gardera la postérité de ce bretteur incorrigible jusqu’à la fin ? Retiendra-t-elle l’« anarchiste de droite » tant de fois décrit et auquel cette appellation convenait si bien parce qu’elle était à ses yeux la plus flatteuse, sinon la plus acceptable ? Ou seulement l’avocat politique si habile dans le sous-entendu, si venimeux dans l’insolence instinctive, comme s’il avait pu être de tous les complots, de toutes les intrigues ? Ou encore l’avocat tout court qui, lui, savait fort bien, sûr d’un talent archireconnu, s’en tenir au classicisme de bon aloi, dès lors qu’il n’éprouvait plus le besoin de céder à ses démons ? »

Anticommunisme et réconciliation nationale

Lorsque le jeune Le Pen s’engage chez les paras afin de participer aux combats algériens, il est alors animé d’un profond sentiment anticommuniste. Il craignait à juste titre la dislocation de l’Empire et l’influence soviétique sur la classe politique française. Traumatisé comme tant d’autres personnes de sa génération par les épisodes atroces de la période de l’épuration, il a aussi vécu l’Indochine et sa perte en tant que correspondant de guerre, où il rencontra Alain Delon qui devint son ami pour la vie. Son engagement algérien s’inscrit donc dans une réflexion géostratégique globale partagée par l’essentiel de la classe politique de la IVème République. Le gouvernement était alors dirigé par le socialiste Guy Mollet, dont le second ministre de l’Intérieur et de la Justice n’était autre qu’un certain François Mitterrand. Jean-Marie Le Pen, aujourd’hui dépeint comme un personnage central de cette guerre, n’était au moment où il partit qu’un exécutant, simple officier subalterne d’une affaire décidée par d’autres.

François Mitterrand à qui il ne fut jamais fait le reproche de son rôle dans cette guerre de son vivant fut pourtant l’homme de la bataille d’Alger mais aussi de la loi d’amnistie et de celle de mars 1956 qui donna tout pouvoir à l’armée en matière de justice sur le sol algérien. Le futur président socialiste a été l’homme du volet politique de la contre-insurrection algérienne, à laquelle a notamment participé Aussaresses ou encore le lieutenant-colonel Galula. C’est lui qui dès 1954 dit à la tribune de l’Assemblée nationale : « La rébellion algérienne ne peut trouver qu’une forme terminale : la guerre. L’Algérie c’est la France ». C’est aussi lui qui autorisa dans ce cadre les exécutions de militants du FLN. Il a refusé de gracier 80% des condamnés à mort dont les dossiers lui furent présentés.

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De fait, la France luttait alors contre un mouvement jugé terroriste et qui avait commis des attentats contre des civils. Il ne s’agissait pas d’une guerre contre un autre pays mais d’un conflit civil localisé à ce moment-là en Algérie et qui menaçait de s’étendre au territoire métropolitain. Jean-Marie Le Pen n’a pas joué un rôle de cette envergure et rien ne dit qu’il participa effectivement au système de « la torture ». Il le conteste dans ses Mémoires, déclarant notamment : « L’armée française revenait d’Indochine. Là-bas, elle avait vu des violences horribles qui passent l’imagination et font paraître l’arrachage d’un ongle pour presque humain (…) Cette horreur, notre mission était d’y mettre fin. Alors, oui, l’armée française a bien pratiqué la question pour obtenir des informations durant la bataille d’Alger, mais les moyens qu’elle y employa furent les moins violents possibles ». Il a aussi dénoncé une « machination politique contre un parti qui avait le vent en poupe », jugeant les accusations « bidons ». Et éminemment paradoxales puisqu’elles sont parties dans les années 1980 de membres du Parti socialiste, mais peut-être avaient-ils accès aux archives secrètes qu’ils avaient eux-mêmes compilées durant les années où ils participaient avec zèle à la guerre !

Attention aux jugements anachroniques

Ce n’est qu’après la Guerre d’Algérie, ou plutôt à son crépuscule, que la mue de Le Pen en Jean-Marie s’acheva. Alors qu’il eut l’opportunité de rejoindre le nouveau pouvoir gaulliste, Le Pen refusa. Excédé par la perte de l’Algérie mais aussi l’abandon des pieds-noirs et des arabes qui ont aidé la France, à l’image de son ami Ahmed Djebbour qu’il fit élire à l’Assemblée nationale sur la liste du Front national des combattants, le « menhir » entra alors dans une errance politique qui dura plus d’une décennie avant que le Front National créé en 1972 ne devienne au milieu des années 1980 une force majeure de la vie politique française.

D’autres n’ont pas eu sa résilience ou son acharnement. Ainsi de Pierre Lagaillarde, fondateur de l’OAS à l’issue de la Semaine des Barricades, qui au terme de son exil renonça à toute activité politique. Pont entre les diverses tendances de la droite anticommuniste d’après-guerre, Jean-Marie Le Pen finit par fédérer les anciens résistants déçus du gaullisme, les poujadistes et d’autres réprouvés parfois plus ou moins présentables autour de son charisme et de sa figure tutélaire. Personnage bien plus contrasté que ce qu’on en dit parfois, il est indissociable de la France de la deuxième moitié du XXIème siècle, dont il fut le bouc-émissaire et le « diable ». Mais n’en était-il pas plutôt la mauvaise conscience et la Sibylle ? L’Histoire jugera.

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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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