Avec son Dictionnaire des mots haïssables, Samuel Piquet passe en revue la novlangue du camp du bien.
Dans les dîners en ville bobos comme dans les salles de rédaction parisiennes, impossible d’échapper à leur emploi forcené. Ils peuvent être faussement savants (Anthropocène), imposés par les évènements (distanciel) ou tout simplement laids (impacter). Certains sont prétentieusement importés des États-Unis (friendzone), d’autres sont bien de chez nous, mais complètement vidés de leur sens (bienveillance). Quelques-uns sont, reconnaissons-le, d’astucieux néologismes (trouple).
Les mots haïssables n’avaient pas leur dictionnaire, voilà l’erreur enfin réparée. Pour les répertorier, Samuel Piquet, qui en dénombre pas moins de 300 (de A comme addictif à Z comme zèbre, un surnom courant pour les « personnes à haut potentiel intellectuel »), est allé les dénicher dans les colonnes des journaux woke, mais aussi sur les sites web des sociétés du CAC 40. À l’origine, ce vocabulaire se veut en effet apolitique. Il a fait son apparition il y a une vingtaine d’années sous la plume de communicants d’entreprise chargés par le patronat de concevoir un lexique qui rendrait présentable le « sociétal », cette prétention à participer au progrès social sans augmenter les salaires.
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Ainsi, chaque jour que Dieu fait, les chantres du sociétal se donnent-ils bonne conscience en disant « je t’aime » à toutes les minorités possibles, et à Mère Nature bien sûr. Seulement, il ne faut pas que cette ballade hypocrite ressemble à un catéchisme de dame patronnesse. Il faut que cela sonne moderne. Ainsi on évitera: « Il faudrait embaucher plus de handicapés, de femmes et d’Arabes, et leur proposer de bons emplois. » Dites plutôt : « Soyons inclusifs et pratiquons le care avec celles et ceux qui subissent le validisme, le manspreading et l’islamophobie ». Pas étonnant que la gauche ait fini par adopter ce jargon hideux.
Alternant entre les considérations sémiologiques les plus sérieuses et des développements pince-sans-rire du meilleur effet comique, Samuel Piquet, qui a un temps écrit pour Causeur et que l’on peut lire à présent dans Marianne, nous régale à chaque page avec ses bons mots et ses formules assassines. Comme dans cette définition de flexitarien : « n. m. : omnivore qui s’ignore et qui se croit supérieurement conscientisé depuis qu’il ne mange pas de viande le lundi sur les conseils de Juliette Binoche. » Ou à l’occasion de cette méchanceté, parfaitement gratuite : « Si vous êtes un homme et qu’on vous dit que vous êtes glamour, c’est dans doute que vous avez le sex-appeal d’Olivier Dussopt lorsqu’il fait des pompes en slip à 5 h 15 du matin. » Bref, un ouvrage tout à la fois solaire, iconique, disruptif, inclassable et challengeant.
Samuel Piquet, Dictionnaire des mots haïssables, Le Cherche Midi, 2023.