L’instauration du passe sanitaire a cristallisé le débat autour de la question de la liberté qui apparaît soudainement menacée. La technologie numérique rend désormais possible la surveillance de masse. Or, les enjeux de la soumission de nos vies à la technologie n’ont jamais fait l’objet d’une réflexion politique à même d’anticiper les décisions à prendre pour garantir la préservation de la liberté. Non seulement le politique est démuni mais pire, il reste muet sur ce grand défi de l’Intelligence Artificielle que révèle la crise sanitaire. Dans la perspective de l’élection présidentielle, le Mouvement Conservateur fait de ce sujet un critère de choix du candidat qu’il soutiendra.
Le passe sanitaire, un outil qui n’est pas neutre
La crise sanitaire et les mesures de restriction qui l’accompagnent voient s’affronter les tenants de la ligne gouvernementale et leurs opposants sur la question de la liberté. Si les uns s’enfoncent dans une argumentation spécieuse selon laquelle il faut restreindre la liberté aujourd’hui pour la retrouver demain, les autres passeraient à côté du véritable problème s’ils omettaient de prendre le mal à la racine. Toute démarche critique du dispositif doit aussi être une démarche technocritique. Le passe sanitaire n’est en effet possible que parce que la technologie permet sa mise en œuvre.
Or, les outils ne sont pas neutres ; ils portent leur propre finalité. C’est ce qu’a mis en lumière le philosophe et précurseur de l’écologie politique Ivan Illich. Dès qu’un outil s’impose comme «monopole radical», outil dont personne ne peut plus se passer, il peut détruire l’objectif qu’il était censé servir.
En 2014, lorsque la Chine a mis au point, grâce à l’IA, un système de surveillance des comportements, l’Occident a été saisi d’effroi mais a tenu la chose à distance. Autres lieux, autres mœurs. Aujourd’hui, cet instrument de contrôle de la société frappe à notre porte et l’a même déjà enfoncée. À cet égard, la lecture d’un récent rapport sénatorial intitulé « Crises sanitaires et outils numériques, répondre avec efficacité pour trouver nos libertés » fait l’effet d’une bombe à retardement alors même qu’il est passé inaperçu. C’est ce modèle chinois de contrôle et surveillance de la société qui y est dessiné. Dans le meilleur des cas, ce texte est descriptif. Dans le pire des scenarii, il est prescriptif. Cette dernière hypothèse n’est pas à exclure puisque se glisse, au paragraphe II-B de la première partie, un inquiétant jugement de valeur : « Il serait irresponsable de ne pas se saisir de telles possibilités. » Quelles sont-elles ? Contrôler le respect des mesures sanitaires à un niveau individuel et en temps réel, « en croisant des données d’identification, des données médicales et données de géolocalisation ». Boîtier connecté porté autour du cou ou smartphone qui sonnerait lorsque vous ne respectez pas les règles de distanciation ; bracelet électronique pour contrôler le respect de la quarantaine, détection automatique par des radars de la plaque d’immatriculation des personnes censées être confinées, contrôle des transactions bancaires pour imposer une amende automatique… La suite du texte, même si elle ne nie pas les dangers liés à ces outils, est seulement une recherche des modalités pouvant aboutir à un « consensus démocratique ». Bienvenue dans le pire des mondes !
Un grave silence politique
L’Europe s’est donnée bonne conscience. De la CNIL au RGPD, puisque le corollaire de toute réflexion est que les nouveautés scientifiques sont toujours bonnes, les mesures envisagées par le politique visent uniquement à encadrer un phénomène auquel on ne saurait se soustraire. Le focus se fait depuis lors à l’unanimité sur la préservation de notre intimité et la nécessité d’inscrire la protection des données personnelles dans la Constitution. Ces indispensables protections ne vont toutefois pas jusqu’à interroger le principe même de l’IA et son ingérence dans nos vies humaines.
Cinq ans après l’adoption de ce règlement européen, la grenouille a été plongée dans la marmite d’eau froide, le feu est allumé, le ramollissement est inéluctable. Quelle résistance trouvons-nous en face de « l’enthousiasme des masses amorphes » contre lequel nous alertait le sociologue Émile Lederer au début du siècle dernier? Les capacités offertes par les technologies de contrôle et de surveillance vont bien au-delà de la crise actuelle dans laquelle elles se développent et laissent présager l’apparition d’une tendance lourde. Même avertissement d’Hannah Arendt, « car une société de masse n’est rien de plus que cette espèce de vie organisée qui s’établit automatiquement parmi les êtres humains quand ceux-ci conservent des rapports entre eux mais ont perdu le monde autrefois commun à tous. » La réalité chinoise nous permet d’anticiper la suite et fait écho au rapport sénatorial déjà mentionné. Le dispositif de «crédit social» établit des notations à partir des comportements et choix analysés et permet de réglementer le droit aux transports, aux logements sociaux, aux services d’État ou encore à l’accès internet, selon les bons points qui auront été attribués aux citoyens. La fiction de Black Mirror devient réalité: c’est l’avènement d’une société dans laquelle chacun est soumis à une notation continue déterminant la valeur de sa propre vie.
La société de masse, décrite par Arendt, s’est établie sur le socle communiste où l’individu n’est qu’une infime partie d’un grand tout, sous le regard d’un pouvoir autoritaire qui exerce la contrainte par la crainte qu’il suscite. Mais chez nous, en France, « pays de la liberté et des Droits de l’Homme », qu’avons-nous fait des principes qui nous fondent comme civilisation? Le préambule du Statut du Conseil de l’Europe fait pourtant référence «aux valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à l’origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable».
Un sujet crucial de l’élection présidentielle
Les prétendants de droite n’en ont pas pris la mesure ou préfèrent laisser au président sortant le soin de sortir seul de l’ornière qu’il a creusée. Sur l’IA, il faudra pourtant aller au-delà des incantations et des revendications ébahies devant l’innovation. Le nouveau, le neuf, ça ne fait pas un programme ! Dans ce monde instable qui danse sur un volcan, un projet politique innovant serait bien plutôt de savoir ce qui vaut la peine d’être conservé. La France seule ne fait pas le poids face aux deux superpuissances de l’IA que sont la Chine et les États Unis. Il y a là un défi qui se joue à l’échelle européenne et dont la France devrait être le moteur. Évidemment, notre réflexion sur l’IA n’est pas une invitation au retour dans les cavernes ; nous n’appelons pas à passer à côté de la troisième révolution industrielle mais à y prendre toute notre place.
La rentrée politique qui s’annonce sera marquée par le congrès LR du 25 septembre, la Journée du conservatisme le lendemain, et le choix par la droite de son candidat à l’élection présidentielle. Aussi, le Mouvement conservateur sera particulièrement attentif aux positions des candidats. Il n’apportera son soutien qu’à celui ou celle qui aura le courage d’affirmer son opposition aux mesures liberticides décidées par le gouvernement et de réaffirmer la liberté comme principe de notre société. Ironie de l’histoire, ce sont les conservateurs qui font aujourd’hui appel au libéral Hayek : « Aussi paradoxal que celui puisse paraître, il est sans doute vrai qu’une société libre qui réussit est toujours dans une large mesure une société attachée à ses traditions. »
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