Le paradis, c’est les autres!


Le paradis, c’est les autres!

ordinateur desert paradis

Vitupérer son époque est un exercice à haut risque : pratiquée sans talent, la diatribe sur les folies du temps présent peut vous renvoyer très vite sur le banc de touche social des vieux ronchons réacs répétant en boucle «  c’était mieux avant ! ». Il faut le souffle d’un Alain Finkielkraut ou le pessimisme transcendantal d’un Régis Debray pour s’en tirer sans trop de dommages.

Benoît Duteurtre est un pessimiste gai, et son dernier roman L’ordinateur du paradis  est à la production littéraire de cette rentrée ce que son émission hebdomadaire sur France Musique « Etonnez-moi, Benoît !» représente dans le monde compassé de la musique dite sérieuse : une oasis de fraîcheur et d’impertinence.

Il aborde sous la forme d’un conte philosophique alerte la question, sérieuse et angoissante, des effets de la tyrannie de la transparence, de la visibilité de chacun d’entre nous jusqu’aux tréfonds de son être rendue possible, et effective, par l’usage de nos «  exo-cerveaux » (internet, téléphone portable), et l’omniprésence de capteurs de son et d’image. Le nouveau Candide (la référence à Voltaire est voulue et assumée) s’appelle Samuel Laroche, brillant technocrate, secrétaire général d’une «  Commission nationale des libertés », qui ressemble comme une sœur à l’un de ces comités Théodule dont le pouvoir fait usage pour masquer son impuissance à préserver les citoyens du viol permanent de leur intimité par les maîtres de la toile et des réseaux.

Invité à participer à une émission de radio pour débattre à propos des «  nouveaux droits » des femmes et des homosexuels, il se laisse aller, hors antenne, à un mouvement d’humeur : « La cause des femmes ! La cause des gays ! J’en ai marre de ces agités qui s’excitent pour des combats déjà gagnés. Il vaudrait mieux se battre pour la femme et les gays d’Arabie saoudite ! » Une caméra traînait dans les couloir de cette radio, qui se livre aujourd’hui, comme la plupart de ses consœurs, à la production d’images du «  making off » de ses émissions phares pour faire le buzz sur la toile et les réseaux sociaux. Tronquée de la dernière partie, qui en atténue largement la portée, cette incorrection politique est lancée dans la cybersphère comme un os jeté aux chiens affamés gardiens de la bonne pensée. L’enchaînement implacable des lâchetés du pouvoir, de la panique familiale face l’opprobre frappant Samuel,  et quelques autres péripéties, amènent ce dernier à choisir de quitter ce monde devenu pour lui une impasse, pour tenter sa chance dans l’autre. Les tribulations de Samuel dans l’antichambre du paradis lui révèlent que les instances du jugement dernier n’ont pas été épargnées par l’air du temps ici-bas.

Les dossiers des aspirants à la félicité éternelle sont exclusivement nourris de leurs petites phrases, tirées de leur contexte, qui on été transmises directement au « cloud » par tous ceux qui ne vous veulent pas de bien. Saint Pierre est devenu un escroc, metteur en scène de sa fausse puissance à ouvrir les portes du paradis. Fin connaisseur de la bonne variété française, Benoît Duteurtre doit conserver dans les plis de son inconscient l’immortel «  On n’est pas là pour se faire engueuler ! » de Boris Vian pour avoir su clore en beauté sa fable tragi-comique. Assommé pour le compte par une épouse furieuse de le voir rentrer éméché, un brave homme de la France d’avant raconte :

« Ma femme a cogné si dur cette fois là

Qu’on a trépassé le soir même et voilà

Qu’on se retrouve au paradis vers minuit

Devant Monsieur saint Pierre

Il y avait quelques élus qui rentraient

Mais sitôt que l’on s’approche du guichet

On est refoulé et saint Pierre se met à râler alors j’ai dit:

On n’est pas là pour se faire engueuler

On est venu essayer l’auréole

On n’est pas là pour se faire renvoyer

On est mort, il est temps qu’on rigole

Si vous jetez les ivrognes à la porte

Y doit pas vous rester beaucoup de monde

Portez-vous bien mais nous on se barre».

*Photo: DINODIA PICTURE AGENC/SIPA.00400377_000009

 



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