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Le pape François dans les pas du Sud global ?

Absent de la cérémonie de réouverture de Notre-Dame à Paris, il se rendra le 15 décembre à Ajaccio


Le pape François dans les pas du Sud global ?
Le pape François assiste à une danse traditionnelle exécutée par les élèves de l'école Caritas à Port Moresby (Papouasie-Nouvelle-Guinée), le samedi 7 septembre 2024 © AP Photo/Gregorio Borgia

Après Strasbourg en 2014 et Marseille en 2023, le pontife argentin poursuit ses visites périphériques en France. Il semble ainsi affirmer un soutien au peuple des territoires, contre des élites parisiennes qu’il accuserait de tous les maux… C’est à croire que la France représenterait à ses yeux à la fois l’esprit colonial et celui des Lumières, la laïcité en étant la synthèse emblématique. L’analyse de Renée Fregosi.


Au demeurant, il est vrai que la Corse est sans doute aujourd’hui la région française à la catholicité la plus affirmée (bien que plus ou moins fortement teintée de superstition). On y constate en effet depuis plusieurs années un regain des pratiques religieuses traditionnelles. Multiplication des confréries, participation en hausse dans les processions, les bénédictions (des rameaux ou des flots au printemps), les offices en général (pas seulement pour la messe de minuit à la Noël), mais aussi l’exorcisme contre « le mauvais œil » ou le port de scapulaires qui touchent à nouveau toutes les couches de la société insulaire. Tandis que les cloches des églises y sonnent et carillonnent régulièrement.

Or, ce catholicisme revivifié, s’il n’est pas directement induit par la poussée remarquable du nationalisme corse, y est manifestement corrélé. Que le mouvement nationaliste dans sa diversité (du corsisime à l’indépendantisme, en passant par toutes les nuances de l’autonomisme) ait fait du Dio vi salvi Regina son hymne, en est le signe le plus évident. Les nationalistes ont su instrumentaliser au profit de leur cause, le potentiel indéniablement mobilisateur exaltant de ce splendide chant marial dont la mélodie émeut jusqu’aux plus athées de ses auditeurs. La visite du pape en Corse représente donc inévitablement un soutien au moins tacite aux contempteurs de « l’État français » et de ses élites dirigeantes.

Une Eglise pauvre pour les pauvres

S’inscrivant dans la ligne de François d’Assise, ce pape militant « d’une Église pauvre pour les pauvres » se veut du côté « des petits contre les gros » et à ce titre il n’aime pas les tenants des institutions ni les « intellectuels ». Il prend ainsi systématiquement le contre-pied de son prédécesseur Benoît XVI, brillant théologien et partisan d’un traditionalisme clérical éclairé, dont le choix du nom papal était lui aussi signifiant de son orientation théologico-politique. Joseph Ratzinger pensait en effet que sans Benoît de Nursie (Saint Benoît) dont « la règle » a fondé au VIème siècle le monachisme en Occident, notre culture européenne n’était pas pensable, et que la connaissance guidée par la raison et l’ascèse religieuse se soutenaient l’une de l’autre.

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Tandis que le pape Benoît XVI prenait clairement parti pour la défense de la culture occidentale et s’engageait résolument dans la poursuite du dialogue et le renforcement de « la collaboration avec les fils et les filles du peuple juif », son successeur marque résolument sa défiance à l’égard de l’Occident et son soutien aux ennemis déclarés d’Israël. Certes, le tropisme populiste du pape François trouve sans doute son origine dans le péronisme toujours si prégnant en Argentine. Toutefois, en cochant toutes les cases du Sud global, décolonial, anti-occidental, pourfendeur de tous les « privilégiés », ne mettrait-il pas plutôt ses pas dans ceux des pires autocrates manipulant cette nouvelle figure idéologique mobilisatrice ?

L’occident ne doit pas « exporter » sa démocratie…

Certes, en estimant que l’avenir de l’Église catholique se joue à présent en Asie, en Afrique et en Amérique latine, et non plus en Europe, et a fortiori aux États-Unis, le vicaire du Christ fait un choix peut-être judicieux d’un point de vue quantitatif. Mais sa préférence pour ce que l’on appelait autrefois le tiers-monde, n’est pas seulement pragmatique. En affirmant comme il le fait dans son ouvrage No sei solo, paru en octobre 2023, que « l’Occident ne doit pas exporter sa démocratie », le pape tient un propos typique du néo-tiers-mondisme antidémocratique d’aujourd’hui. En clamant « retirez vos mains de l’Afrique ! Arrêtez d’étouffer l’Afrique, ce n’est pas une mine à dépouiller ou un terrain à piller ! » en 2023 lors d’une visite au Congo, le pape François ne s’adressait pas aux compagnies chinoises ou aux mercenaires russes, mais aux Occidentaux qui selon lui continueraient à bénéficier du privilège colonial. 

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Car les prises de positions du pape François sur la scène internationale ne penchent pas seulement en faveur des pays pauvres mais aussi des pires autocrates de la planète. Ainsi, son souci œcuménique, n’est peut-être pas seul en cause dans la poursuite du dialogue avec le très politique patriarche russe Cyrille alors que Poutine ne cède rien à sa volonté de domination de l’Ukraine. Quant à son acquiescement à l’Église officielle chinoise tandis que les persécutions des catholiques indépendants se poursuivent, il manifeste une certaine complaisance à l’égard du pouvoir de Pékin. On peut même voir dans sa visite en Corse, une convergence avec l’offensive déstabilisatrice de la France par le président à vie azerbaïdjanais Ihlam Aliev qui soutient les indépendantistes corses dans leur projet d’inscrire la Corse sur la liste des « territoires non autonomes à décoloniser » définis au chapitre XI de la charte de l’ONU.

Un Pape propalestinien ?

Par ailleurs, dans le conflit au Moyen-Orient, qu’un pape se préoccupe de la situation humanitaire des Gazaouis, cela relève de son sacerdoce. Mais après avoir estimé que l’opération israélienne à Gaza n’était pas « proportionnée », en parlant désormais de possibilité de génocide à Gaza, le pape François se range manifestement dans les rangs propalestinistes. Or, ce soutien que le chef de l’Église catholique apporte à ceux qui prônent la création d’une Palestine libre du Jourdain à la Méditerranée en rayant Israël de la carte, est aussi gravement préjudiciable aux Chrétiens d’Orient subissant à nouveau de terribles persécutions, comme aux catholiques d’Europe dont on doit mettre les églises sous protection policière, menacées qu’elles sont par le djihadisme assassin.  

Alors, valoriser « la religiosité populaire en Méditerranée », en Corse et ailleurs, pourquoi pas ? Mais religiosité signifie aussi trop souvent aujourd’hui renouer avec un antijudaïsme chrétien archaïque convergeant avec la tradition anti-juive musulmane, tout en abondant au nouvel antisémitisme du « privilège juif » cher à cette religion séculière woke du décolonial. Le pape François ne risque-t-il donc pas de donner dans cette dérive ? En donnant le sentiment qu’il prend parti contre la France, c’est en tout cas l’universalisme occidental tout entier que le pape semble mettre en accusation.

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Philosophe et politologue. Présidente du CECIEC. Membre de Dhimmi Watch et de l’Observatoire des idéologies identitaires. Dernier ouvrage paru : "Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs". Éditions de l’Aube 2023

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