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Le Panthéon : lieu de consensus, et aussi d’affrontements


Le Panthéon : lieu de consensus, et aussi d’affrontements

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Il est le sanctuaire de l’âme républicaine, le temple des grands hommes et, dans quelques semaines, il accueillera quatre nouveaux élus qui rejoindront les soixante-et onze-acteurs ou précurseurs de la Révolution, grands serviteurs de l’Etat, hommes politiques, savants, hommes de lettres ou militaires qui y dorment déjà. La nouvelle est tombée vendredi. Le président de la République en personne l’a annoncé au cours d’un déplacement au Mont-Valérien où il a rendu hommage à la Résistance : l’ethnologue et résistante Germaine Tillion,  Geneviève de Gaulle-Anthonioz, ancienne présidente de ATD-Quart Monde et nièce du général de Gaulle qui fut déportée à Ravensbrück, le journaliste et résistant Pierre Brossolette ainsi que l’homme politique et avocat Jean Zay feront prochainement leur entrée au Panthéon.

La décision était initialement attendue en décembre. Le 10 octobre dernier, le président du Centre des monuments nationaux, Philippe Bélaval, avait remis à François Hollande son rapport sur le rôle du Panthéon dans la promotion des principes de la République. Dans ce document fleuve, le haut fonctionnaire recommandait de ne « panthéoniser que des femmes pendant son mandat » en raison du très fort déséquilibre homme/femme. Il suggérait toutefois que ces femmes soient du XXe siècle, afin que « le souvenir soit encore très proche et que le grand public comprenne les enjeux », des figures du sexe faible « qui ont eu un comportement exemplaire pendant des périodes d’épreuves encore proches, comme la Guerre de 1914-1918, la Deuxième Guerre mondiale avec la Résistance et la déportation ». Ou encore des femmes « qui ont été renforcées par l’épreuve dans leurs convictions républicaines pour transformer le monde via l’action politique, sociale, éducative, humanitaire ». Prudent, le président du Centre des monuments nationaux n’avait pas adressé au chef de l’Etat de recommandations précises sur l’identité des personnalités susceptibles d’intégrer le temple des grands hommes. On comprend pourquoi : le 2 septembre dernier, Philippe Bélaval avait aussi lancé une grande consultation publique sur le site des monuments nationaux et pas loin de deux mille noms avaient été suggérés par plus de trente mille internautes. Inévitablement, certaines figures féminines, voire féministes, étaient revenues de manière récurrente, comme la révolutionnaire Olympe de Gouges, l’anarchiste de la Commune de Paris Louise Michel, ou l’écrivain Simone de Beauvoir. Mais parmi les tout premiers noms les plus plébiscités de la liste jointe au rapport Bélaval, on retrouvait des personnalités non moins connues pour leurs services extraordinaires rendus à la Nation que pour leur opposition farouche à une certaine lecture de l’histoire et des valeurs de la République, à l’instar du grand soldat, résistant et putschiste, Hélie Denoix de Saint Marc (5e place sur 2000), récemment décédé, ou du professeur Jérôme Lejeune (10e place sur 2000), découvreur de la trisomie 21 et ardent défenseur de la vie. Des noms qui ne collaient assurément pas avec le catéchisme socialiste et laïc d’aujourd’hui mais qui se trouvaient pourtant en bonne place dans le cœur des Français.

C’est que, plus encore qu’avant, l’entrée des « grands hommes » au Panthéon est prétexte à la domination culturelle et politique. À Jean Moulin et son « terrible cortège » (André Malraux), dont le transfert avait été décidé en 1964 par le général de Gaulle, ont succédé Jean Monnet en 1988, à un moment où il fallait réveiller la conscience européenne sous le septennat de François Mitterrand ; André Malraux en 1996, comme pour marquer le début de septennat de Jacques Chirac ; Alexandre Dumas en 2002, moins pour célébrer l’immensité de son œuvre que sa « négritude » dans une France multiculturelle. Là où Nicolas Sarkozy avait échoué dans sa tentative de marquer l’histoire du Panthéon (la famille d’Albert Camus, dont le président souhaitait qu’il y reposât, ayant refusé), François Hollande entend réussir dans l’usage de cette prérogative régalienne.

Mais l’exercice est risqué. Le sépulcre national a toujours été un lien de cristallisation des profondes divergences politiques, et par là l’objet d’une course gramscienne à l’hégémonie culturelle. À plusieurs reprises dans l’histoire, le Panthéon a été le théâtre d’insurrections où se rejouaient les combats entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires. Le 13 juin 1906, huit ans après l’affaire Dreyfus, l’Assemblée nationale vote la panthéonisation d’Emile Zola, dont la tribune « J’accuse » est encore dans tous les esprits. La veille, la Cour de cassation a annulé le jugement condamnant Alfred Dreyfus, mais la droite nationaliste conteste la décision judiciaire. Jean Jaurès et Maurice Barrès s’affrontent dans l’hémicycle, la presse retranscrit la violence de ce climat d’opposition à travers des caricatures qui se multiplient et le mausolée semble soudain envahi par des personnages burlesques tout droit sortis de l’univers des Rougon-Macquart. Le 4 juin 1908, Emile Zola entre au Panthéon malgré les menaces d’agitations entretenues, entre autres, par Charles Maurras et Léon Daudet. Le commandant Dreyfus, présent ce jour-là, échappe de justesse à l’attentat fomenté par le journaliste Grégori, qui parvient toutefois à ouvrir le feu et à le blesser au bras. Le 12 novembre 1919, encore traumatisés par le terrible conflit qui vient de s’achever, les députés de l’Assemblée nationale décident de choisir le corps d’un soldat français non identifié tombé au champ d’honneur et de le porter au Panthéon. Très vite, la polémique enfle. Léon Daudet évoque le voisinage de Zola qui « souillerait le héros » et pointe le danger « de vouloir mêler aux ossements sublimes les ossements indignes, et de profaner deux fois les sanctuaires ». Une campagne de presse est lancée et suggère, plutôt, l’inhumation du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe, mouvement entériné le 2 novembre 1920 par un vote à l’unanimité du Parlement. En 1936, alors que le professeur de droit public Gaston Jèze vient de se porter conseiller d’Haïlé Sélassié, négus d’Éthiopie, chassé d’Addis-Abeba par les troupes de Mussolini, une partie de la jeunesse française proche de l’Action française et des Jeunesses patriotes s’insurge. Pendant plus de deux mois, autour du Panthéon, auront lieu des affrontements entre étudiants pro et anti-Jèze.

En mai 68, la place du Panthéon sera bien évidemment aux premières loges des rixes qui opposeront les partisans du progrès à ceux d’un certain conservatisme. Le matin du deuxième dimanche de mai 1991, la Préfecture de Police interdit le Cortège traditionnel de Jeanne d’Arc place des Pyramides. De violents affrontements s’ensuivent entre les forces de l’ordre et les jeunes camelots du roi de la « Génération Maurras » (qu’ils opposent à la « Génération Mitterrand »). L’après-midi, pour dénoncer la répression, quelques dizaines de lycéens royalistes avec à leur tête le futur romancier Sébastien Lapaque s’enferment dans le Panthéon. Aux policiers qui ceinturent l’édifice, Lapaque lance : « Rendez-nous Jeanne d’Arc et nous vous rendrons Jaurès et Rousseau ! ». Après deux heures de siège, la République reprendra ses droits.

En ces temps troublés, François Hollande aura choisi de ménager la chèvre et le chou. Deux hommes, deux femmes. A la droite et aux catholiques Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Au centre, Germaine Tillion. À la gauche, aux antimilitaristes et aux partisans d’une laïcité radicale, Jean Zay et Pierre Brossolette. Du François Hollande pur jus qui, pour une fois, s’avère un choix judicieux.

*Photo :  20 MINUTES/GELEBART/SIPA. 00664176_000004. 



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