La mort de Thierry Jonquet, et l’émotion qu’elle a provoquée au point que, pour la première fois, un ministre de la Culture s’est fendu d’un communiqué de condoléances pour un auteur « de genre », semble accréditer une thèse dont les amateurs étaient depuis longtemps convaincus : le polar est une littérature à part entière et il arrive même que certains de ses auteurs soient de grands, voire de très grands écrivains.
On conseillera donc au lecteur qui voudrait faire le point sur cette question Une brève histoire du roman noir, par Jean-Bernard Pouy. Pouy est un des noms les plus représentatifs de cette génération des années 1970-1980 qui compta, outre Jonquet, des noms aussi remarquables que Fajardie, Quadrupanni ou ADG…
[access capability= »lire_inedits »]Ils renouvelèrent le genre, et ce de manière paradoxale, en renouant avec les racines de cette littérature qui sont à chercher aux USA, dans cette mouvance hard-boiled née de la crise de 1929 dont Hammett est le plus grand représentant. Pouy, lui, ajouta à cette dimension de critique sociale très libertaire une vision oulipienne et un sens de l’humour qui font de romans comme Nous avons brûlé une sainte, La Belle de Fontenay ou Spinoza enc… Hegel de véritables classiques. Sa Brève histoire est donc, on s’en doute, le contraire d’une étude universitaire. Pouy est un désinvolte, mais un désinvolte érudit et, l’air de rien, c’est un exploit d’être, sur un sujet aussi vaste, rapide, complet, pertinent et – osons cet affreux adjectif – pédagogique.
Il s’autorise une simple précaution méthodologique et terminologique : ne jamais parler de polar ou de roman policier, mais de roman noir. La différence n’est pas anecdotique : le roman policier est un roman du retour à l’ordre avec des bons qui gagnent à la fin, alors que le roman noir est un roman du désordre ou le bien et le mal ont tendance à confondre leurs lignes de force. Ainsi n’hésite-il pas à faire remonter le premier roman noir au mythe d’Œdipe, qui en serait même l’archétype. Pouy force à peine l’interprétation puisque parut effectivement en Série Noire, il y a quelques années, Œdipe roi, dans une remarquable « traduction du mythe » par Didier Lamaison respectant toutes les lois du genre.
Pouy analyse aussi les différents aspects du genre qui semblent avoir coexisté depuis le début et son Histoire se révèle davantage, auraient dit les structuralistes, diachronique que banalement chronologique. Mais un simple inventaire des têtes de chapitre vous indiquera l’esprit dans lequel est écrit cette histoire où vous découvrirez qui sont, par exemple, les tenants du courant « rouston-baston » ou ceux atteints par la « cirrhose de l’âme ».
Au passage, il démontre de façon assez convaincante que des auteurs perçus par la critique comme « difficiles », notamment Jean Echenoz ou Tanguy Viel, qui publient aux éditions de Minuit, doivent tout au roman noir et le reconnaissent aisément.
Pouy, qui est en plus un écrivain généreux, termine cette Brève histoire par une nouvelle qui se moque de l’actuelle mode du genre et de la prolifération de titres de qualité médiocre par des éditeurs qui ont flairé le bon coup. Elle est intitulée : Sauvons un arbre, tuons un romancier !
Ce qui, en ces temps de rentrée littéraire à plus de six cents romans, est une idée à considérer.
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