Accueil Édition Abonné Le NFP, dernière gauche immigrationniste d’Europe?

Le NFP, dernière gauche immigrationniste d’Europe?

A contre-courant des autres pays du continent, la France possède la dernière gauche sans frontières


Le NFP, dernière gauche immigrationniste d’Europe?
La Première ministre italienne Giorgia Meloni rencontre son homologue britannique Keir Starmer à Rome, 16 septembre 2024 © CHINE NOUVELLE/SIPA

Du Danemark à l’Allemagne, en passant par la Grande-Bretagne et la Slovaquie, des partis de gauche sont rattrapés par le réel : ils défendent un strict contrôle des frontières pour enrayer l’immigration de masse. En France, la gauche qui continue de voir un électeur en chaque immigré ne change rien à sa doctrine.


Et si le grand tour de vis contre l’immigration venait, en Europe, de la gauche ? L’exemple danois attire depuis plusieurs années la curiosité de ses voisins. En mai 2023, Éric Ciotti, qui n’était pas encore démissionnaire de la présidence de LR ni allié du RN, se rendait à Copenhague, en quête de recettes nordiques. Pour comprendre le tête-à-queue danois sur les questions migratoires, il faut remonter à 2001, quand le Parti populaire, classé comme nationaliste, a soutenu une coalition de droite plus modérée, en échange d’un durcissement des règles migratoires. C’est ainsi que le camp conservateur a pu garder les commandes du pays pendant dix ans, de 2001 à 2011, puis de 2015 à 2019. Au prix de 135 modifications de la loi sur les étrangers, le pays de la Petite Sirène peut se vanter aujourd’hui d’avoir la politique d’accueil la plus ferme d’Europe occidentale. Lors de son premier retour aux affaires après 2011, la gauche danoise s’est certes efforcée d’assouplir les règles mises en place pendant la décennie 2000. Elle ne s’y aventure plus désormais et depuis sa victoire de 2019, elle assume l’héritage législatif de la droite. En janvier 2021, la Première ministre Mette Frederiksen tenait ainsi devant le Parlement le discours que toutes les droites populistes d’Europe rêvent d’entendre : « Nous devons nous assurer que peu de gens viennent dans notre pays, sinon notre cohésion sociale sera menacée. » En 2017, dans l’opposition, elle promettait déjà de déplacer les demandeurs d’asile dans des centres délocalisés en Afrique. Désormais, il y a consensus des principales formations politiques danoises pour estimer que, si le pays veut maintenir son modèle social, il doit drastiquement limiter l’accès à la nationalité et aux aides sociales. Le bloc de gauche est en train de récolter les fruits électoraux de sa stratégie : aux Européennes de 2024, les partis de la coalition de Mette Frederiksen rassemblaient 35 % des voix, tandis que le Parti populaire redescendait à un famélique score de 6,37 %. La formation de droite classique est pour sa part en plein déclin. Aux législatives de 2022, elle était même passé sous la barre des 3 %, très loin des 21 % réalisés en 2015. Deux paradoxes à observer : pour renaître politiquement, la gauche danoise a dû intégrer une bonne partie du programme de la droite nationale ; et celle-ci, pour avoir su imposer ses thèmes depuis vingt ans, est désormais renvoyée aux marges de la vie politique locale.

Un thé avec Meloni

Le modèle danois peut-il inspirer les gauches européennes ? Lors de la campagne des législatives britanniques de juillet 2024, le candidat travailliste Keir Starmer, rompant avec l’islamo-gauchisme des années Jeremy Corbyn, s’est engagé à réduire l’immigration. « Si vous m’accordez votre confiance, je vous fais cette promesse : je contrôlerai nos frontières et ferai en sorte que les entreprises britanniques soient aidées à embaucher en priorité des Britanniques », déclarait-il au Sun avant le scrutin. Il faut dire que, malgré le Brexit, le Royaume-Uni semble ne plus contrôler grand-chose à ses frontières. Ce sont désormais 1,2 million d’étrangers, extra-européens pour l’écrasante majorité, qui affluent chaque année dans le pays. Ménageant la chèvre et le chou, Keir Starmer annonçait dans le même temps qu’il renonçait au projet controversé de déplacement des demandeurs d’asile au Rwanda, cher au Premier ministre conservateur sortant Rishi Sunak et fort inspiré par le modèle danois – mais ce projet pourrait être redéployé en Albanie (voir le texte de Frédéric de Natal et Jeremy Stubbs). En septembre 2024, alors que le Royaume-Uni sortait d’un été marqué par des violences ethniques, le nouveau locataire du 10 Downing Street faisait sensation en s’affichant aux côtés de la Première ministre de droite italienne Giorgia Meloni et surtout en louant les résultats de cette dernière en matière de lutte contre l’immigration illégale. « Vous avez fait des progrès remarquables, en travaillant d’égal à égal avec les pays se trouvant sur les routes migratoires afin de traiter, à la source, les facteurs de la migration et de contrer les réseaux, et le résultat est que les arrivées illégales par la mer en Italie ont baissé de 60 % depuis 2022 », faisait-il remarquer à son hôtesse romaine. Une visite qui n’a pas plu à tout le monde au sein de la gauche britannique ; Kim Johnson, députée travailliste de Liverpool, a regretté que le nouveau Premier ministre « aille chercher des enseignements auprès d’un gouvernement néofasciste ». Malgré la survivance d’une aile gauche aux thèmes proches de notre LFI nationale, le Labour ne peut plus se permettre de se présenter devant les électeurs britanniques sans un minimum de fermeté sur ces sujets.

AfD et BSW, la tenaille identitaire

Outre-Rhin aussi, l’heure est au raidissement après l’annonce faite par le chancelier social-démocrate Olaf Scholtz du rétablissement des contrôles aux frontières pour une période minimale de six mois (voir l’article de Nicolas Pouvreau-Monti de l’Observatoire de l’Immigration et de la démographie dans notre magazine #127). La fin du mois d’août a été ensanglantée en Allemagne par l’attaque au couteau commise en plein « Festival de la Diversité » (ça ne s’invente pas…), à Solingen, coûtant la vie à trois personnes et faisant huit blessés. L’assaillant était un Syrien de 26 ans. En Allemagne, la droite de la droite a le vent en poupe – comme un peu partout en Europe. On l’a vu en Thuringe, en plein cœur de l’ancienne RDA, lors des dernières élections régionales, au cours desquelles l’AfD (qui a réussi à effrayer le Rassemblement national au point d’entraîner une rupture avec lui au Parlement européen) est arrivé nettement en tête, dépassant les 32 %. On l’a vu également aux Européennes de juin, où le parti a obtenu 15 sièges – malgré des dérapages de campagne qui nous ont rappelé les pires heures de Jean-Marie Le Pen.

Toutefois, l’AfD ne monopolise plus le créneau anti-immigrationniste. Un nouvel objet politique non identifié est apparu cette année en Allemagne : le BSW, c’est-à-dire « l’Alliance Sahra Wagenknecht – Pour la raison et la justice ». Issue d’une scission de Die Linke (l’extrême gauche germanique) et menée, comme son nom l’indique, par Sahra Wagenknecht, la nouvelle formation se réclame d’une « gauche conservatrice », à contre-courant du wokisme généralisé en Occident. À gauche toute en économie, le parti souhaite mettre un coup d’arrêt à l’immigration incontrôlée, à l’origine selon lui de l’explosion de la criminalité. Prorusse par ailleurs, le parti joue sur la corde « ostalgique » d’une partie des Est-Allemands. Aux régionales de Thuringe, il vient d’obtenir un score de 15,77 %, dépassant Die Linke. Aux Européennes, pour sa première participation à un scrutin national, le BSW a obtenu 6,2 % et six sièges. Sur le Stadtplatz, pris en tenaille entre une droite et une gauche « radicales » qui se rejoignent peu ou prou sur les questions migratoires, le chancelier de centre gauche n’a pas d’autre choix que de durcir le ton. Les mesures prises sur le contrôle des frontières ont toutes les chances de s’inscrire dans le temps. S’il ne s’agit pas d’une condamnation à mort de Schengen, c’est tout de même un coup de canif contre son esprit.

Ailleurs en Europe, une forme de national-populisme de gauche s’exprime en Slovaquie avec Robert Fico, Premier ministre grièvement blessé lors d’une tentative d’assassinat en mai 2024. Sorte de cousin « de gauche » de Viktor Orban, il avait accédé aux commandes de la République grâce à une alliance étonnante, en 2006, avec des partis de droite nationaliste et populiste. Il s’est signalé par des prises de position très hostiles à l’immigration et à l’apparition d’une hypothétique « communauté musulmane » en Slovaquie.

La gauche chauvine française existe, elle s’appelle Marine

Alors que la gauche du Nord de l’Europe, rattrapée par le réel, revient peu à peu de l’angélisme du sans-frontiérisme, la gauche française rame imperturbablement à contre-courant. Conçue sur la rive droite du PS du début des années 2010, la stratégie Terra Nova qui consistait à délaisser l’électorat ouvrier au profit des minorités a été pleinement récupérée par la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Pour LFI, le calcul cynique est simple : la victoire électorale est possible, à condition que la vague migratoire continue. Pas question de barrer la route à de futurs électeurs. Sur le terrain, l’affaire du tractage au faciès révélée par François Ruffin dans son dernier livre montre à quel point la question ethnique est au cœur de la stratégie (et des obsessions) du parti d’extrême gauche. Mais alors, si LFI ne parle plus qu’à la gauche Vélib’ de l’Est parisien et aux « quartiers », qu’est-ce qui empêche l’émergence d’un BSW à la française ?

Sahra Wagenknecht, lors d’une conférence de presse de l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), Reichstag, Berlin, 9 septembre 2024 snapshot/Future Image/ /Shutterstock/Sipa

On pourrait se demander si, effectivement, l’effondrement du secteur industriel en France, dont la part dans le PIB est passée à 17 % en 2022 (alors qu’il est encore de 30 % en Allemagne) ne rend pas saugrenue toute tentative de séduction d’une classe ouvrière old school, plus proche de l’habitus de Georges Marchais que de Mona Chollet. Il est vrai que les maigres tentatives à gauche n’ont guère été couronnées de succès. Georges Kuzmanovic, en rupture avec Mélenchon après 2017 et fondateur du parti République souveraine, a connu pour le moment des résultats électoraux plus proches de Jacques Cheminade que de Sahra Wagenknecht. En 2018, encore membre de LFI, il répondait à une interview au Nouvel Obs, dans laquelle il signalait déjà à l’époque sa sympathie pour la dirigeante allemande et sa volonté de convertir LFI à la lutte contre l’immigration massive. Il fut aussitôt diabolisé par le grand chef Mélenchon. Tous ceux qui se sont aventurés, à gauche, à exprimer un point de vue réaliste sur les questions migratoires n’ont pas tardé à être brocardés par leurs petits camarades. Fin 2021, alors que la campagne présidentielle s’annonçait, Arnaud Montebourg avait proposé de couper les flux de transferts d’argent privé (en gros, Western Union) pour les pays peu coopératifs quant au rapatriement de leurs propres ressortissants. Que n’avait-il pas dit là ? L’ancien député de Saône-et-Loire dut faire son mea culpa quelques heures plus tard, après une volée de bois vert et des tweets de Guillaume Meurice. Plus récemment, c’est François Ruffin qui a été comparé à Jacques Doriot, collaborationniste qui a porté l’uniforme allemand sur le front de l’Est. Doriot, Déat… La gauche rejoue à chaque fois les années 1930 et 1940 ; elle a dernièrement convoqué ses grands mythes en appelant « Nouveau Front populaire » son alliance de bric et de broc de juin dernier. En oubliant un peu vite qu’en avril 1937, Marx Dormoy, ministre de l’Intérieur du Front populaire, donnait instruction aux préfets de « refouler impitoyablement tout étranger qui cherchera à s’introduire sans passeport ou titre de voyage valable ».

Au début des années 2010, Régis Debray, ancien compagnon de Che Guevara, écrit un Éloge des frontières. Mais, cette année-là, c’est Stéphane Hessel et son navrant Indignez-vous qui émoustillent la jeunesse de la place de la République. Sur le terrain des idées et des ventes de livres, le « frontiérisme » de gauche avait perdu la première manche. Dans le socle idéologique de base du militant progressiste de 2024, la mystique des damnés de la terre est puissante ; impossible d’imaginer une remise en cause des flux humains, effet de la mondialisation au même titre que les flux de capitaux et de marchandises. En Allemagne, Thilo Sarrazin a pu écrire en 2010 un livre tout à fait hostile à l’immigration musulmane, et participer à des meetings de l’AfD, sans se faire virer du SPD pour autant. Quid d’un petit plaisantin, encarté au PS français, qui s’amuserait à en faire autant ? Alors, l’apparition d’une gauche à la BSW est-elle définitivement impossible de ce côté du Rhin ? En réalité, cette formation existe depuis cinquante ans. Dès les années 1980, bien avant les efforts de Marine Le Pen et de Florian Philippot, le Front national avait commencé à rafler la mise au sein de la classe ouvrière, sur fond de slogan « Trois millions de chômeurs = trois millions d’immigrés ». La gauche chauvine française existe, elle s’appelle Marine.

Octobre 2024 - Causeur #127

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Prêt à tout?
Article suivant L’irresponsabilité en politique mériterait la sanction judiciaire
Professeur démissionnaire de l'Education nationale

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération