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Le nez dans le ruisseau, la faute à Bégo


Le nez dans le ruisseau, la faute à Bégo
Raymond Domenech dans le collimateur. François Bégaudeau part en croisade contre les quinquagénaires.
Raymond Domenech
Raymond Domenech dans le collimateur. François Bégaudeau part en croisade contre les quinquagénaires.

C’est un texte dont Causeur, sous l’excellente plume de François-Xavier Ajavon, a déjà parlé, mais c’est plus fort que moi. Quand l’un de nos rebelles télévisuels, Bégaudeau en l’occurrence, s’en prend à son beau-frère, c’est-à-dire au beauf qui gît en moi, mon sang ne fait qu’un tour et j’ouvre mon ordinateur. Et plutôt deux fois qu’une ! Car Bégaudeau s’en est pris non seulement à son « beau-frère », mais aussi à Finkielkraut, dont j’attends et dévore chacun des livres. D’ailleurs, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais François Bégaudeau semble souffrir d’un antifinkielkrautisme primaire. À chaque fois que le philosophe intervient sur un sujet d’actualité, vous pouvez être sûr que Bégaudeau viendra tenter un contrepied à la télé ou dans les journaux. La dernière fois que j’ai pu diagnostiquer cette bizarre obsession, c’était donc dans Le Monde du 23 juin, à propos de la déroute de l’équipe de France de football.

Ainsi, contrairement à ce que croient Alain Finkielkraut et le « beau-frère [de Bégaudeau lui-même] dans sa Laguna » (et moi aussi, d’ailleurs, qui pourtant roule en Scenic), ce n’est pas d’un manque d’autorité dont a souffert l’équipe de France, mais plutôt d’un excès d’autorité. Ça vous en bouche un coin, ça, hein ! Complètement contre-intuitif, comme propos, bien digne d’un empêcheur-de-penser-en-rond patenté ! Typiquement l’argument qu’on ne voit pas venir, genre tacle par-derrière. Tu veux plus d’autorité ? T’es un beauf en Laguna ; voilà le genre de chantage psychologique, à base de snobisme social, auquel se livre notre Bégo.

[access capability= »lire_inedits »]Trop vieux, trop beaufs, trop prolos

Pour Bégo-le pédago, ce qui a fait péter les plombs aux Bleus n’est pas d’avoir été livrés à eux-mêmes par un sélectionneur visiblement dépassé par la situation, mais d’avoir été soumis à des « éducateurs raides dans leurs bottes ». Le Bégo précise sa pensée : « Depuis vingt ans, la baguette a été confiée à des quinquagénaires prénommés Aimé, Roger, Jacques, Raymond, ou encore Robert (comme Duverne [Robert Duverne quinquagénaire, c’est à croire que Bégo, malgré son amour du foot, ne sait pas compter jusqu’à onze]), tous rejetons d’une France ouvrière et rurale […] Très clairement, ceux-là ne savent pas faire avec le prolétariat de banlieue qui peuple aujourd’hui les clubs. »

Il y avait le « délit de faciès », dont la répression est aujourd’hui durement réprimée en France ; Bégo-le finaud tente d’instaurer à sa place un « délit de blase » : haro sur les Robert, sus aux Raymond ! On ne devrait pas avoir impunément, aujourd’hui en France, en plein début de XXIe siècle, le même prénom que M. Bidochon. C’est une offense insupportable à la modernitude. Trop vieux, trop beaufs, les sélectionneurs français, et surtout trop prolos !

Il y a dans le propos de Bégaudeau un paradoxe qu’il ne semble même pas percevoir : tel un Fillon empruntant mollement ses métaphores à Mitterrand, il s’en prend au racisme social des « chiens » qui tombent « à bras raccourcis[1. Des « chiens » qui tombent « à bras raccourcis » : selon l’expression consacrée par saint Philippe, je précise que je sais que la métaphore est éprouvante, mais aussi que la chose ne l’est pas moins. Ajoutons en outre que ça évitera peut-être à tous ces « chiens »… de faire main.] sur la « jeunesse populaire » tout en faisant preuve à l’égard de la France « ouvrière et paysanne » qui prénommait ses enfants « Aimé, Roger, Jacques, Raymond, ou encore Robert » d’un racisme du même type. Les prolétaires d’hier et le « beau-frère » de Bégaudeau seraient incompétents lorsqu’il s’agit de prendre en main les prolétaires d’aujourd’hui. Plaçons des pédagogistes surdiplômés dans le genre de Meirieu à la tête de l’équipe de France et foutons tous ces prolos « raides dans leurs bottes » à la porte : voilà la solution audacieuse que semble nous proposer le Bégo des surfaces médiatiques.

Notons au passage que transformer « Raymond » Domenech en « rejeton de la France ouvrière et rurale » est un peu tiré par la moustache à propos d’un fils d’immigré catalan qui a passé son enfance dans un quartier populaire de Lyon et, tel le blédard contemporain, retournait tous les étés sur la terre natale de ses parents, sans compter qu’il a traîné toute sa carrière une réputation de bad boy, comme on ne disait pas à l’époque, réputation qu’il devait au moins pour une part à sa tronche de métèque. Un profil donc strictement similaire à celui de quelques-uns des caïds hautains de l’équipe de France de football qui devrait plaire à Bégo puisqu’il souhaite que « les maîtres s’adaptent à la population d’un genre nouveau dont ils ont la charge ». En quoi exactement cette population est-elle d’un « genre nouveau », alors que le football a toujours été un sport populaire pratiqué notamment et brillamment par des fils d’immigrés ? Nous ne le saurons jamais.

Que les maîtres s’adaptent à leurs élèves

Tout à son souci de la sauver de la hargne des « chiens » et des petits Blancs, Bégaudeau idéalise cette jeunesse des cités qu’en tant que rejeton de la bourgeoisie de province, il n’a jamais vraiment fréquentée que de loin avant de la rencontrer « entre les murs », puis de s’en faire le chantre dans un roman en forme d’apologie du monde tel qu’il va… et avant, enfin, de pouvoir l’abandonner à son sort, cette belle jeunesse, en toute bonne conscience, pour aller pérorer dans les médias. En renonçant à l’idée même d’autorité au profit d’une « adaptation » des maîtres à leur public, c’est à un second abandon que se livre Bégaudeau et, au fond, à une apologie de l’attitude de Domenech qu’il prétend pourtant vilipender : lorsqu’il a décidé de lire en public la missive de ses joueurs prenant la défense de celui qui l’avait insulté, le sélectionneur n’a rien fait d’autre que « s’adapter », c’est-à-dire de paraître approuver son humiliation.

L’idéalisation de la jeunesse populaire des banlieues par Bégaudeau trouve son revers exact dans le mépris qu’il affiche sans complexe à l’encontre du monde ouvrier et paysan du petit Blanc quinquagénaire et propriétaire de Laguna. Bégaudeau se prénomme François et a longtemps vécu, semble-t-il, au fin fond de la province française. Sa haine du beau-frère et des prénoms bien de chez nous sonne, pour qui veut l’entendre, comme une haine de soi ou plus précisément une haine du proche, père, frère, beau-frère, bref, le « François » en lui. Le texte de Bégaudeau, dans ses inconséquences logiques et son néant moral, est le symptôme parfait de la faillite d’une pensée progressiste qui ne pense plus rien, sinon son dégoût de petit snobinard pour la France profonde.[/access]

Juillet/Août 2010 · N° 25 26

Article extrait du Magazine Causeur



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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