Naissance du loup-garou


Naissance du loup-garou
Image extraite du «Monstre de Londres» de Stuart Walker

Nouvelle salve de « monstres » chez Elephant films : l’éditeur poursuit avec pugnacité son travail de défrichage et nous permet de redécouvrir des films méconnus produits au sein du studio Universal. Car si certaines œuvres sont devenues de grands classiques comme les deux premiers Frankenstein, Dracula ou La Momie, il est plus difficile de voir aujourd’hui la flopée de séries B engendrées grâce au succès  de ces créatures mythiques.

Le Monstre de Londres est un cas un peu particulier dans la fondation d’un mythe. Historiquement, c’est le premier film de la Universal à faire apparaître la figure du loup-garou mais pourtant, il faudra attendre 1941 et Le Loup-garou pour que George Waggner impose définitivement le personnage à l’écran. C’est d’ailleurs dans ce film que Lon Chaney Jr incarne pour la première fois Larry Talbot et sa prestation lui vaudra de revenir de nombreuses fois sous cette défroque poilue.

Le film de Stuart Walker débute au Tibet où un botaniste et son assistant bravent tous les dangers pour trouver une plante extrêmement rare qui n’éclot qu’au clair de lune. Mais pendant ses investigations, le docteur Glendon (Henry Hull) est attaqué par une mystérieuse créature. Revenu à Londres, il se métamorphose en loup-garou les soirs de pleine lune…

Avec Le Monstre de Londres, le cinéaste pose les bases d’un mythe fécond du cinéma fantastique : les transformations terrifiantes de l’homme en loup lorsqu’arrive la pleine lune, la nécessité de tuer le monstre avec une balle (qui n’est pas encore en argent), la transmission de la malédiction par morsure… Pourtant, le film n’est pas encore un véritable film d’épouvante et ses ruptures de ton restent assez surprenantes.

Dans un premier temps, il débute comme un film d’aventures avec une expédition lointaine et des coolies qui s’enfuient dès qu’un mystérieux homme se présente aux explorateurs. De retour à Londres, le film devient une sorte de comédie mondaine assez drôle, peuplée de vieilles dames indignes adeptes de la bouteille et du clin d’œil égrillard. Il faut voir deux de ces honorables harpies se disputer les faveurs de Glendon qui réclame une chambre pour dormir : l’une d’entre elles assomme l’autre et affirme : « C’est ma meilleure amie mais elle ne connaît pas l’éthique du commerce » (ceci dit, ce passage illustre assez bien la vérité profonde dudit commerce !).

Enfin, le film aborde la thématique fantastique du loup-garou en s’appuyant sur une belle photographie à la limite de l’expressionnisme (éclairage lunaire, jeu avec les ombres portées sur les murs…). Si le loup-garou reste l’un des monstres les plus intéressants du bestiaire fantastique, c’est sans doute pour les tourments qui agitent l’âme de celui qui est victime de la malédiction. Ni grand seigneur méchant comme le vampire, ni créature monstrueuse dénuée de toute humanité comme celle créée par Frankenstein ; la lycanthropie représente à merveille la part d’animalité qui se niche en tout individu.

Alors qu’il est tout à fait normal quoique un peu asocial en journée, le docteur Glendon se laisse dominer par ses instincts bestiaux la nuit. Inutile de préciser la haute teneur sexuelle de ces transformations en loup : les crimes visent essentiellement des femmes (notamment les femmes adultères ou/et de « mauvaise vie ») et la malédiction met en crise l’équilibre du foyer (une épouse délaissée).

Le conflit du docteur Glendon est intéressant dans la mesure où il cherche coûte que coûte à protéger son épouse mais qu’il s’en éloigne irrémédiablement pour cette même raison et en prenant ses distances. Interprété avec talent par Henry Hull, le loup-garou de Stuart Walker présente une image assez nuancée de la nature humaine prisonnière de sa condition.

Que ce soit lorsque les vieilles dames se « lâchent » et s’adonnent à l’ivresse ou lorsque le scientifique se transforme en fauve, le cinéaste montre les frontières floues entre la civilisation et les instincts les plus bestiaux, entre la culture et la nature. C’est cette tension permanente qui fait tout l’intérêt de ce curieux Monstre de Londres

 

Le Monstre de Londres (1935) de Stuart Walker avec Henry Hull, Warner Oland (Éditions Elephant Films). Sortie le 27 avril 2016.



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est cinéphile. Il tient le blog Le journal cinéma du docteur Orlof

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