Depuis quelques semaines, les rebelles sont à l’honneur dans les kiosques à journaux. Le Monde propose à ses lecteurs, pour 5,90 euros chacun, dix suppléments d’environ deux cents pages présentant des personnages en opposition avec leur époque.
On trouve ainsi deux tomes sur les résistants, des volumes sur Victor Hugo, Jean Jaurès, Georges Clémenceau ou Léon Blum, sur la révolution de 1848, etc.
Grégoire Kauffmann a eu l’idée judicieuse et courageuse de demander à Jérôme Besnard une anthologie des auteurs de la contre-révolution. De Rivarol à Michel Mohrt, l’occasion nous est fournie de faire un tour dans les textes de ceux qui s’opposent au monde tel qu’il va, surtout quand il est trop tard. Ce huitième tome est disponible pendant une semaine depuis ce jeudi matin.
À la lecture de l’introduction de Jérôme Besnard, il s’avère difficile de ne pas penser aux Antimodernes d’Antoine Compagnon. Ce livre ne se trouve pourtant pas dans la bibliographie proposée en fin d’ouvrage. On comprend qu’elles ne pouvaient pas être exhaustives : les brèves présentations des auteurs suffisent à saisir la richesse des références. Comme l’universitaire, Jérôme Besnard insiste longuement sur la crise que connaît ce courant de pensée après les errements de nombre de ses membres durant la seconde guerre. Mais il perçoit avec plus de justesse le renouveau qui s’opère dès la Libération, avec des romanciers comme Jacques Perret et Jean de La Varende, les Hussards, le philosophe Pierre Boutang, l’essayiste Thierry Maulnier, les historiens Philippe Ariès et même le lettriste repenti Michel Mourre… L’auteur consacre évidemment une partie de l’introduction à dissocier les personnalités sulfureuses dont il va être question des fascistes, collaborateurs et nazis en tout genre.
Aurait-il pris autant de pincettes si Le Monde n’était pas à l’origine de la commande ? On peut imaginer que non, mais les précautions liminaires ne s’avèrent pas pour autant des excuses déguisées. Jérôme Besnard nous plonge sans hésitation dans cet univers méconnu de ceux qui n’ont jamais pensé comme il faut. Il parvient même à les englober dans une formule saisissante : « Le versant chevaleresque de l’esprit rebelle français ».
Beaucoup de romanciers dans cette anthologie : la pensée monarchiste ne peut pas se dissocier de la dimension esthétique. Deux penseurs figurent au cœur de l’ouvrage et structurent la mouvance : Joseph de Maistre et Charles Maurras.
Jérôme Besnard apporte des présentations riches et précises. Soulignons un tic significatif de l’auteur : il stipule systématiquement les origines de l’écrivain dont il va parler. Il fait ainsi référence au « savoyard Joseph de Maistre », à « l’aveyronnais Louis de Bonald », au « malouin Chateaubriand », au « normand Jules Barbey d’Aurevilly ». On apprend qu’Antoine de Rivarol est « fils d’un aubergiste », que Joseph de Maistre est « issu d’une famille de robe » alors que Louis Veuillot est « issu d’un milieu populaire » et que Michel Mohrt est « né dans une famille royaliste de Basse-Bretagne ». Une manière de faire comprendre qu’il faut chercher les racines pour trouver l’homme.
Les amateurs apprécieront de voir ces extraits emblématiques se confronter les uns aux autres. Une occasion de situer les écrivains dans leur chronologie, de distinguer leurs modèles comme leurs disciples, et de reconnaître ainsi les bienfaits de la transmission.
Ceux qui ont la chance de n’avoir pas encore lu ces textes les découvriront de la meilleure manière qui soit : contextualisés, simplement présentés sans glose superflue.
On vous dit qu’il est « rebelle » de lire Joseph de Maistre. Ne vous en privez pas.
*Image : wiki commons.
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