La grande crise de 2008 semblait avoir remis en cause certaines certitudes et tempérer la croyance théologique dans les vertus du marché. Mais, comme dans le monde politique, la crise actuelle semble révéler les idées et le caractère de chacun. Malheur aux vaincus !
« Merci les marchés et vive la rigueur »
C’est par ce titre surréaliste que le nouveau responsable de l’économie du quotidien du soir a titré sa chronique de samedi. Sa présentation de la crise actuelle est à sens unique. Les Etats sont coupables de « cavalerie budgétaire » et « d’incurie », les marchés ont bien raison de leur mettre la pression et d’ailleurs « le pouvoir des marchés sur les Etats a augmenté au même rythme que progressait l’endettement de ces derniers ». Une seule solution : la rigueur.
Ce manque de nuance est assez stupéfiant. Si l’on ne peut naturellement pas exonérer les hommes politiques de responsabilités en France du fait du laxisme budgétaire de la plupart des équipes au pouvoir depuis trente ans, le raisonnement du journaliste du Monde est totalement excessif. Mettre l’Espagne dans le même panier est totalement injuste puisque ce pays avait une dette de moins de 40 % du PIB en 2007 après plusieurs années d’excédents budgétaires.
Et puis, il est tout de même incroyable de sanctifier à ce point le dieu marché, à peine 18 mois après une crise où les marchés financiers étaient partis pour s’autodétruire si les Etats n’étaient pas venus à leur secours. L’histoire récente nous a de tout de même montré le caractère autodestructeur, exubérant et égoïste des marchés et toutes les limites qu’il y a à les laisser faire sans la moindre contrainte véritablement structurante. Tout ceci semble avoir été totalement oublié.
Le summum de la pensée unique
Ce qu’il y a également de choquant dans cette chronique est l’affirmation à peine voilée qu’il n’y a qu’une seule politique possible. L’auteur ridiculise la proposition du Front de Gauche et du Parti Communiste de fermer les marchés pour un mois et ne propose comme alternative que des taux d’intérêt à 15 %, une faillite ou une explosion des dettes publiques. En clair, la seule politique possible serait l’austérité budgétaire (terme plus juste que la rigueur vu les politiques suivies).
Et, naturellement, les divins marchés ont en plus la délicatesse « d’avoir fait comprendre aux dirigeants européens, certes par la manière forte, que sans évolution rapide vers le fédéralisme, sans politique budgétaire commune, l’union monétaire était vouée à disparaître ». Pour ceux qui n’auraient pas compris : les gouvernements nationaux vont devoir rapidement céder à nouveau des prérogatives à Bruxelles pour essayer de faire tenir cette construction bancale qu’est l’euro.
Bref, nous aurions le choix entre la continuation, et même l’accélération de l’intégration européenne couplée à une austérité budgétaire et une fausse alternative que serait la vision crypto marxiste du Front de Gauche. L’adorateur du marché devrait pourtant reconnaître que même les marchés doutent de son modèle dont ils se demandent bien comment il pourra produire la moindre croissance et s’il ne risque pas d’aggraver la situation au lieu de résoudre les problèmes.
Il est absolument hallucinant de lire une telle chronique empreinte d’un culte sans nuance pour le marché à peine quelques mois après la plus grave crise du capitalisme depuis près d’un siècle. Naturellement, l’auteur passe complètement à côté des solutions alternatives.
Texte publié initialement sur le blog de Laurent Pinsolle.
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