La forme, tout d’abord. Pas grand chose à en dire, si ce n’est que j’ai trouvé le Président crispé, et même très crispé quand Claire Chazal a tenté de faire son travail en lui parlant des propositions de François Hollande ou de l’impact des bonus fiscaux dans l’hôtellerie-restauration.
Systématiquement le Président a répondu sans répondre, tordant à l’envi le cou aux énoncés des journalistes. Ainsi quand François Lenglet, talentueux éditorialiste de BFM-TV, cite Alain Madelin qui affirme que la « TVA sociale » revient à prendre l’argent dans la poche des salariés pour l’envoyer dans celle des patrons, Nicolas Sarkozy répond qu’il aime beaucoup Madelin mais qu’il ne saurait partager ses convictions ultralibérales. Hum…
Techniquement donc, l’intervention du Président évoquait presque, la faconde en moins, le Georges Marchais grand teint qui répondait à Elkabbach et Duhamel : « Vous avez vos questions, j’ai mes réponses ! ». On avait l’impression désagréable que le discours présidentiel était tellement réglé au cordeau et gavé de statistiques, qu’il n’était pas question de s’en écarter d’un millimètre, quitte, comme dirait l’autre, à « faire chiant », ce qui par ailleurs cadre bien avec le Sarkozy contrit version 2.0
Venons-en aux annonces. Passons sur la mini-Tobin et sur la hausse de la CSG sur les revenus financiers, qui feront justement consensus, passons sur les 5% d’apprentis dans le grandes entreprises à l’horizon 2015, qu’on ne verra sans doute jamais se concrétiser à l’instar des quotas d’handicapés, passons aussi sur la banque de l’industrie : avec un capital de 1 milliard d’euros, sa force de frappe sera à peu près celle de la Crédit Agricole de la Gironde, ou genre…
Pas grand-chose à dire sur le volet logement et l’augmentation de 0,30 point du COS (Coefficient d’occupation des sols). La «densification» urbaine est une vieille idée de l’UMP. Vieille mais juste, l’ennui c’est qu’elle risque fort d’être trappée par les municipalités, sur ce point on fait confiance aux Verts et autres associations à la noix. Mais le BTP sera content, ce qui était le but, bien plus qu’une chimérique baisse des loyers.
Arrive enfin le morceau de bravoure annoncé, la « TVA sociale » qu’il ne faut surtout pas appeler comme ça, dixit le chef. Comment faut-il l’appeler ? Ça, il ne le dit pas encore, ça doit carburer dur dans les agences de com’. Plus sérieusement, mon avis est que cette taxe n’est pas aussi antisociale que la gauche ne le dit. Je suis convaincu qu’elle n’entraînera pas la hausse des prix à la consommation annoncée, de la même façon que les baisses de TVA, comme celle que Jospin avait décrétée en 2000, n’ont jamais entraîné de baisse des prix : en période de quasi déflation et de guerre concurrentielle, Renault et Total, Apple et Samsung, Carrefour et Darty paieront l’addition sur leurs marges, et ils peuvent se le permettre.
Restent deux problèmes. Primo, pour 12 milliards, t’as plus rien. Si 12 malheureux milliards pouvaient arrêter l’hémorragie des emplois industriels, Sarko les aurait mis cash sur la table depuis longtemps. Tant qu’à se servir de la taxation à des fins de politique industrielle, ce qui est à mes yeux strictly kosher, autant le faire sérieusement : quand j’était djeun, les produits dits de luxe étaient affectés d’un taux majoré de 33,33%, – un taux là encore supprimé par le PS sans le moindre effet sur les prix. Eh bien, disons que le retour de cette surtaxe par exemple sur les produits électroniques ou sur les automobiles de plus de 5CV ne ferait de mal à personne… Mais ce serait du protectionnisme déguisé, ce qui nous conduirait, me dit-on à ma droite et à ma gauche, à la guerre mondiale dans les plus brefs délais.
Deuxième problème, et il est maousse : qui nous garantit que ce cadeau fiscal sera utilisé vertueusement par ses bénéficiaires ? En l’absence de volet coercitif, le plus probable est que les entreprises feront de cette aubaine ce qu’en ont fait les banques ou les restaurateurs : de la marge brute. Dommage…
Bref, ce qu’il faut reprocher au Président, ce n’est pas d’imposer une TVA sociale, c’est de ne pas profiter à fond des derniers leviers que nous laissent encore Bruxelles et l’OMC pour la mettre en place sérieusement. Le protectionnisme, c’est dit, il ne passera pas par lui.
La dernière annonce, sur la « liberté de négociation » est sans doute la plus désagréable, d’autant plus désagréable qu’elle m’oblige à être d’accord mot pour mot avec l’adjudant-chef Mélenchon quand il dit : « dorénavant c’est entreprise par entreprise que seront fixés les salaires et les durées du travail, et ces décisions auront une valeur supérieure à la Loi et au Code du Travail (…) Tout le monde sait qu’entreprise par entreprise les travailleurs n’ont pas le plus souvent la capacité de résister aux injonctions qui leurs sont faites d’augmenter leur temps de travail, de diminuer leur payes ou bien de passer au chômage technique, surtout quand on leur présente comme une mesure de solidarité avec leurs collègues. » Pour être plus complet, Mélenchon aurait dû ajouter que cette mesure inique revient à infliger une double peine aux ouvriers, déjà premières victimes des baisses de salaires et de la flexibilité accrue dues aux 35 heures façon Aubry. Ah oui, me dit-on dans l’oreillette, quand on les a mises en place, il était au gouvernement, mille excuses Jean-Luc…
Au total, le Président nous promet de la sueur pour éviter le sang et les larmes : pas de quoi sauter au plafond, sauf si on est déjà inscrit au fan-club. Au mieux, ce cours d’économie sera donc une opération blanche.
En revanche, le même Sarkozy s’est métamorphosé dès qu’on a commencé à parler d’autre chose : c’est quasiment un autre homme qui est sorti de sa boite durant les cinq dernières minutes. Tour à tour relax et emphatique, ironique et modeste, cruel avec les autres et avec lui-même et apparemment pas inquiet à l’idée d’en découdre avec Hollande, bien au contraire.
On a donc eu un bref échantillon de ce que sera le Sarkozy de compétition modèle 2012, qui se présentera non seulement comme un anti-démagogue, mais aussi comme un candidat lucide qui n’a pas peur de l’autocritique, contrairement à qui-vous-savez. Et qu’on l’aime ou non, dans cet exercice-là, le Président est bon. Si seulement cela pouvait nous éviter une fin de campagne où le seul choc serait celui des calculettes…
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