Il est de bon ton de dire que Plantu est le meilleur éditorialiste de France, compliment qu’il accepte généralement avec ce qu’il faut d’embarras, en rosissant légèrement. A mon avis, il est surtout le plus imperméable au réel. Le dessinateur qui officie chaque jour en « une » du Monde a sa grille de lecture, la même depuis 20 ans, et quand la majorité de la profession y a enfin renoncé, lui n’en démord pas. Qu’elle ait surtout permis de ne rien comprendre à ce qui se passait dans la société française et d’évacuer par le mépris les inquiétudes du peuple, ce n’est pas le problème de Plantu. Peut-être que pour lui, le peuple n’est qu’un ramassis de ploucs prêts à se donner au premier facho venu. On comprend alors que l’accusation de populisme soit presque aussi infamante que celle de nazisme.
On me dira et avec raison que dans son dessin de L’Express, Plantu ne traite pas Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon de nazis ou alors seulement de nazis modérés comme dirait l’ami Basile de Koch : il se contente de les associer sous le drapeau d’un ténébreux néo-populisme. Mais le dirigeant du Parti de Gauche et la nouvelle présidente du FN représentés debout, chacun à sa tribune, chantant le même air du « Tous pourris ! » sont affublés de brassards dont le style et les couleurs sont clairement destinés à rappeler les heures les plus sombres de notre histoire.
Appréciant peu d’être mis dans le même sac que l’héritière Le Pen, « Méluche » a piqué une de ses colères qui font le bonheur des médias et dénoncé « l’amalgame odieux ». Au lieu de jouer les vierges outragées, le tribun de la Révolution citoyenne aurait mieux fait de décrypter et de critiquer le long discours contenu dans ce mauvais dessin.
Il n’est pas en soi scandaleux de comparer les deux candidats à la présidentielle, même s’ils viennent de traditions politiques radicalement opposées. Il y a entre eux de considérables différences et de notables convergences : ils veulent tous les deux plus de social, moins de mondialisation et moins d’Europe. On a le droit de trouver ce programme irréaliste ou même inquiétant mais en quoi est-il criminel ? Tous deux estiment, chacun avec son logiciel, que les élites ont une lourde responsabilité dans notre situation. Les élites devraient-elles être immunisées contre la critique au prétexte que celle-ci rappellerait le « Tous pourris !» des années 1930 ? On peut, de surcroît, s’interroger sur la conversion républicaine de Marine le Pen, se demander si sa défense de la laïcité traduit autre chose que sa détestation de l’islam, rappeler les dérapages racistes de son père. Pour qui veut comprendre, toutes les questions sont légitimes.
Sauf que Plantu ne veut pas comprendre, il veut juger. Il ne fait pas d’analyse politique, il exhibe sa hauteur morale. Or, pour incarner le Bien, il faut absolument disposer d’une icône du Mal. Marine Le Pen annoncerait-elle qu’elle s’apprête à voter pour Eva Joly que Plantu continuerait à voir en elle le Diable. Et en prime, le voilà maintenant, avec Jean-Luc Mélenchon, pourvu d’un petit Satan. En conséquence, Plantu n’a rien à dire aux électeurs qui seraient tentés par l’un des deux candidats dénoncés comme « populistes » avec une pince à linge sur le nez, sinon qu’ils sont au mieux des nigauds, au pire des salauds. Et que leurs questions mêmes sont inconvenantes. Or, face à des partis de gouvernement qui proposent comme unique horizon la réduction des déficits et la poursuite de la fuite en avant européiste, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen prétendent, eux, que la politique peut changer le réel. Facile, dira-t-on, quand on n’est pas au pouvoir. Sans doute. Reste qu’au lieu de dénoncer rituellement leur populisme, archéo ou néo, on ferait mieux de s’interroger sur la possibilité d’une véritable alternative. Entre « on ne peut rien faire » et le « grand soir », national ou social, il devrait y avoir de la place pour un volontarisme réaliste. Ou alors, cessons d’aller voter. Parce que s’il n’y a qu’une seule politique possible, il n’y a pas de politique du tout.
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