Dans la montagne de l’arrière-pays de Marrakech, vendredi à 23h11, des villages entiers ont été rayés de la carte. Le premier bilan de Driss Ghali.
On dit que la vie est une succession d’épreuves. Celle qui vient de frapper le Maroc est aussi dure qu’inattendue. Personne n’aurait pu prévoir un séisme de magnitude 7 dans l’arrière-pays de Marrakech, une région éloignée des zones de friction tectoniques. Le Maroc n’était tout simplement pas sur la carte du monde des catastrophes naturelles, épargné qu’il est depuis cinquante ans des tornades, des grands feux de forêts et des méga-inondations.
Le poids des poutres et de la misère
Et l’impensable s’est produit vendredi soir vers 23h11. Une dizaine de secondes où la terre rocailleuse et sèche des montagnes de la province d’El Haouz a tremblé. Plus qu’un tremblement, c’est en réalité une sorte « d’explosion » qui a mis par terre des villages entiers, posés sur des pentes improbables par le labeur obstiné de leurs habitants. Des campagnards miséreux, appartenant à ce Maroc qui ne tire jamais son épingle du jeu, à ce Maroc toujours à la limite de la survie, à ce « Maroc inutile ». Accrochés à une montagne stérile, ces pauvres gens ont vu leur maison s’écrouler sur eux. Une existence écrasée par les poutres et les briques comme si le poids de la misère n’était pas une malédiction suffisante.
Les montagnes et leurs habitants ont absorbé le gros du choc. En contrebas, Marrakech n’a reçu que le reste de l’énergie dissipée. Les constructions modernes, aux normes apparemment, ont tenu. Les édifices anciens, maisons modestes de la médina ou bâtiments appartenant au patrimoine, ont subi des dommages sérieux. Certains se sont écroulés.
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Et c’est dans l’adversité que l’on assume son identité. C’est dans la proximité de la mort que l’on manifeste son for intérieur. Et c’est la foi en Dieu, la confiance en Allah, le recours à sa miséricorde infinie, c’est tout cela qui a effleuré spontanément dès les premières vibrations. Et à ce jour, 48h après le drame, Allah est sur toutes les lèvres. A lui, l’on se remet que l’on soit un jeune dandy casablancais surpris par le séisme dans un restaurant chic de l’Hivernage ou une femme esseulée qui vient de perdre sa maison. L’islam est au cœur de l’identité marocaine.
Le service public couvre en boucle les évènements. La radio surtout (Medi 1) fait un travail formidable, à l’équilibre entre la restitution du réel et la fabrication d’un discours « positif » qui rassure la population. Pour l’instant, elle y parvient admirablement.
L’heure n’est pas aux querelles
De toute façon, l’heure n’est pas aux querelles. Les Marocains font bloc. Au défi de la nature, ils opposent une solidarité résolue. Des médecins et infirmiers ont renoncé à leurs congés pour épauler leurs collègues, des civils de toutes les classes sociales font la queue pour donner leur sang, des dons en nature (couettes, nourriture etc.) affluent de tout le Maroc.
L’union nationale déborde à l’étranger, vers cet autre Maroc qui réside en France et en Europe. La diaspora est sincèrement touchée par le drame et se mobilise. Il n’y a pas que les humoristes qui se mettent à disposition (Jamal Debouze, Gad Elmaleh), Monsieur tout le monde s’active pour envoyer de l’argent aux damnés de la terre qui ont perdu leurs proches et leur logis. Le monde entier adresse sa sympathie au Maroc: États-Unis , Chine, Inde, Ukraine, Italie, Union Européenne, Union Africaine… Même l’Algérie, qui vient de descendre deux baigneurs égarés à Saidia, a levé l’interdiction de son espace aérien aux avions humanitaires destinés au Maroc.
L’Espagne, pas la France
Pour le moment, le seul pays qui a reçu une demande d’assistance officielle de la part du Maroc est l’Espagne. Elle vient d’envoyer une cinquantaine de militaires spécialisés dans la recherche de victimes d’effondrement. L’Espagne pas la France (sur ce point, lire l’analyse de Nicolas Klein NDLR). Selon la presse locale, des pompiers bénévoles lyonnais seraient déjà dans la région de Marrakech. Six pompiers français, 56 militaires espagnols.
Espérons que tous les moyens seront déployés pour dégager les personnes encore otages des décombres. En effet, nombre de « douars » (villages) attendent les secours. Certaines routes sont encore coupées – celles qui serpentent la montagne où la dévastation a été la plus brutale. Les hélicoptères de l’armée sont au contact des habitants isolés, transportant les blessés vers le CHU de Marrakech et les femmes enceintes vers des lieux plus cléments. Heureusement, l’armée, la gendarmerie royale et la protection civile sont sur le qui-vive. Encore une fois, l’ADN du pays se révèle dans l’adversité. Le Maroc dispose d’une administration efficace, qui maille au plus près le territoire et qui peut compter sur des effectifs dévoués.
Malheureusement, la classe politique n’est pas à la hauteur du rendez-vous, pour le moment. Les réactions ont été rares durant les premières 24 heures, de la part des membres du gouvernement. À l’exception du ministre de la Santé, aucun ministre n’est allé au contact des blessés et des sinistrés. Les autorités seront jugées sur pièces. C’est-à-dire sur la qualité de leur prise en charge et sur le degré d’empathie témoignée à l’égard des victimes. Les prochains jours et les prochaines semaines seront essentiels. Ils détermineront si le Maroc sortira plus fort de cette crise ou pas.
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Les villageois affectés n’ont pas les moyens de mettre leur habitat aux normes
La reconstruction est sur toutes les lèvres. Comment sera-t-elle effectuée ? Les villageois n’ont probablement pas les moyens de suivre les normes parasismiques. Eux qui doivent repartir à zéro pourraient certainement installer l’énergie solaire et réaliser une isolation thermique adéquate. Tout cela coûte cher, l’État et les bailleurs de fonds internationaux devraient intervenir et faire de cette crise une opportunité d’engager la transition énergétique. Au-delà, il faudrait probablement déployer un discours politique qui réponde au sentiment d’exclusion qui imbibe les populations de ce Maroc inutile. Exclusion territoriale, économique et même sanitaire au regard de la rareté des équipements de soin hors des grandes villes et de l’axe Rabat – Casablanca. L’union nationale suscitée par le séisme pourrait se traduire durablement dans un nouveau pacte social où les inégalités régionales seraient moins criantes.
Ne sautons pas les étapes, cela dit. Le temps est encore celui du secours et de l’assistance. Le temps est aussi celui de la prière pour les morts, les blessés et les orphelins. Puisse Allah les couvrir de sa miséricorde…
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