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Le manège désenchanté


Le manège désenchanté

pierre louis basse

Un vrai régal, les petits éditos énervés de Cyril Bennasar, l’ours bipolaire de ci-devant Causeur. J’aime bien les ours. Il fallait bien que je lui réponde. Je crains le dialogue solitaire. Mais Causeur me plaît assez, avec ses façons de castagne un peu désuète. Montons sur le ring. Ce plantigrade mal léché me fait tant rire ! En route pour le manège enchanté des consciences, que le capitalisme − hier comme aujourd’hui −, conduit avec merveille. Facile : les gogos traversent l’Histoire avec peu de mélancolie. Hier les juifs donc, les tziganes, les homos. Les malades mentaux pour faire bonne mesure. Aujourd’hui, les Arabes et les Roms (toutefois, les juifs ont plutôt intérêt à ne pas trop la ramener, dans un coin de la pièce). Le spectacle est poilant et tragique à la fois : lisant l’ours, je n’ai guère vu de différence fictionnelle avec le bréviaire de l’efficace Anders Behring Breivik. Honte à « l’islamisation de l’Europe », chante le tueur méthodique d’Utoya.[access capability= »lire_inedits »]

Quand à mes amis intellectuels de gauche – je confesse en effet nous sentir plus proches d’un sans-papiers somalien en charge des toilettes d’une grande entreprise du 8e arrondissement que d’un lecteur de Valeurs actuelles −, eh bien ils sont la lie de cette idéologie de haine anti-chrétienne dont le but est de détruire la civilisation occidentale, etc… L’ours bipolaire lui, a quelques miettes de poésie.

Il découvre en l’an 2500 que « les plages sont restées à leur place » ; en revanche, « plus le moindre bikini, mais une foule de burkinis, tous plus seyant les uns que les autres ». L’ours bipolaire est fatigué et dérive dangereusement. Il devrait savoir que bikinis et seins nus ont disparu depuis belle lurette, sans qu’aucune fatwa n’eût été nécessaire, sur les plages de La Baule ou de Saint-Tropez. « La tristesse durera toujours », notait Van Gogh. Rien de plus triste en effet, qu’un ours bipolaire passant l’essentiel de son temps à apercevoir « un monde occidental qui tourne autour de la pierre noire ». Je passe, hélas, faute de temps, sur la sous-culture de banlieue, qui danse sous les projecteurs de Joe Starr ou Diam’s. « Laisse pas traîner ton fils », chantaient pourtant, avec une certaine classe, les NTM, il y a quelques années. Une sorte d’appel au secours dans la nuit de la séparation des hommes. Mais l’ours est sourd. Avait-il, quelques années auparavant, prêté l’oreille au cri sublime d’Antisocial ? Et le nouveau patron du Festival d’Avignon, Olivier Py, n’a pas oublié ces enfants de Sarcelles, capables de fracasser l’Odéon à grands coup de Racine. C’est ainsi. L’ours bipolaire et banal ne cesse de ratiociner la même histoire. La même pétoche de l’Autre.

La même invention de l’ennemi invisible. Ah le joli manège enchanté ! « Beaucoup d’entre nous, observe Primo Levi, individus ou peuples, sont à la merci de cette idée, consciente ou inconsciente, que « l’étranger », c’est l’ennemi. Le plus souvent, cette conviction sommeille dans les esprits, comme une infection latente. » C’est une petite musique qui vient de loin. Méfiance. Une musique, déjà, qui bat la mesure, du côté de cette Grèce que j’aime tant. À lire le dernier roman de Pierre Mérot, Toute la noirceur du monde, c’est une musique, cher ours mal léché, qui s’achève toujours dans les graves.[/access]

*Photo : Delicatessen.

Septembre 2013 #5

Article extrait du Magazine Causeur



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est écrivain et journaliste. Il anime l'émission "Le temps de lire" sur Sport 365. Auteur de "Gagner à en mourir" (Robert Laffont, 2013), il publiera prochainement "La Tentation du pire" (Hugo et Cie).

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