En juin dernier, votre serviteur déplorait le Cosi… du (forcément divin) Mozart, miné par l’abstraction sous l’effet de la régie signée Anne Teresa de Keersmaeker, dans l’antre de l’Opéra-Bastille.
L’arraisonnement des chefs-d’œuvre du répertoire lyrique par les metteurs en scène « starisés » est un trait d’époque : il suscite le pire comme le meilleur. Quoiqu’il en soit, c’est a contrario un rare privilège que de redécouvrir un joyau de la musique, mais décanté de tout appareil scénographique : mis à nu en quelque sorte. C’était le cas il y a quelques jours au Théâtre des Champs-Elysées : Mozart s’y voyait célébré avec d’autant plus de sobriété que le Chœur et Orchestre Les Musiciens du Louvre, formation « baroqueuse » par excellence (fondée et toujours dirigée par Marc Minkowski), restitue, sur instruments d’époque, la sonorité particulière aux orchestres de l’âge classique : elle offrait une relecture tout à la foi nerveuse et subtile du célébrissime dramma giocoso millésimé 1790.
Ainsi réduite à la seule expression de son livret, Cosi Fan Tutte prenait une saveur, une drôlerie, une alacrité soulignées par la discrète inventivité des travestissements qui, comme chacun sait, font la trame de l’opéra en question. La mezzo américaine Angela Brower y reprenait le rôle de Dorabella qu’elle incarnait déjà à l’Opéra-Bastille l’été dernier avec brio. Dans celui de Guglielmo triomphait ici le ténor croate Leon Kosavic (qu’on a grande hâte d’entendre dans Ariane à Naxos, le génial opéra de Richard Strauss, qui sera donné à l’opéra de Rouen du 15 au 19 novembre prochain). La soprano vénitienne Miriam Albano campait merveilleusement quant à elle la marieuse ancillaire Despina. Don Alfonso, sous les traits du baryton Alexandre Duhamel, donnera envie aux amateurs de le revoir, ici même en décembre prochain, dans le Dialogue des carmélites, de Francis Poulenc… mis en scène, cette fois, par l’inévitable Olivier Py. Mais la plus belle surprise de cette unique représentation concertante du 24 septembre revenait, sans aucun doute, à la soprano suisse Ana Maria Labin, inoubliable dans l’emploi de Fiordiligi – vibrato incandescent, souplesse et suavité du phrasé, projection redoutable dans les aigus, ambitus à donner le frisson. Ainsi livrés à l’état brut, dans leur jus, sans le nappage parfois déroutant propre à nos régies contemporaines, les rondeaux, cavatines et autres arias de cette partition scintillaient comme jamais.
D’autant que sous l’impulsion de son directeur Michel Franck, la maison de l’avenue Montaigne inaugurait à cette occasion un nouveau dispositif acoustique, élégante architecture modulable composé de sept à dix panneaux (leur nombre s’adapte à l’effectif requis sur le plateau) dont l’esthétique, avec son rehaut de dorures, renvoie à celle, splendide, de ce monument précurseur de l’art déco construit en béton, comme l’on sait, par le jeune Auguste Perret en 1910.
Alors ? Alors voilà qui ouvre l’appétit pour la suite. En coproduction avec Les Grandes Voix, le Théâtre des Champs-Elysées accueillera bientôt le délicieux chef-d’œuvre de Rossini, Le Comte Ory. Puis, toujours en version concert, Alcina, chef-d’œuvre absolu de Haendel. Rendez-vous respectivement les 7 novembre et le 5 décembre pour ces deux spectacles.
Cosi Fan Tutte, de Mozart, en version concert le 24 septembre dernier.
Le Comte Ory, opéra en deux actes de Gioachino Rossini. Avec Cyrille Dubois, Sara Blanch, Ambroisine Bré, Monica Bacelli, Nicola Ulivieri, Sergio Villegas-Galvain, Marielou Jacquard.
Direction : Patrick Lange.
Orchestre de Chambre de Paris, Chœur de Chambre de Rouen
Jeudi 7 novembre à 19h30
Durée : 2h50
Alcina, opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel. Avec Elsa Dreisig, Sandrine Piau, Emily D’Angelo, Nadezhda Karyzina, Stefan Sbonnick, Bruno de Sa, Alex Rosen. Direction: Francesco Corti. Il Pomo d’Oro.
Jeudi 5 décembre à 19h30
Durée : 3h
Théâtre des Champs-Elysées. Paris.