N’ayant pas fréquenté le caté dans mes jeunes années, ni même beaucoup fréquenté des gens qui le fréquentaient, je serais bien incapable de vous dire à quoi renvoie exactement la Pentecôte.
Pour moi, ce lundi-là évoque donc surtout les ponts, les férias, les accidents de la route subséquents et aussi la Fête de LO, qui ressemble tant à la fête de l’Huma de quand j’étais petit. Et puis, depuis quelques années, la Pentecôte, c’est aussi l’ineffable journée bossée, mais non payée, instituée par Jean-Pierre Raffarin en 2004, soit juste après la canicule meurtrière de l’été 2003 et destinée, nous disait-on, à collecter deux milliards d’euros en faveurs des vieillards les plus démunis.
À l’époque, la gauche et les syndicats avaient hurlé en chœur, menacé du pire et même pire. Mais Raffarin avait tenu bon, tout en concédant que la mesure en question appelait « quelques aménagements ». Six ans après, on ne sait pas où sont passés les deux milliards et, faute d’été meurtrier, on ne sait pas plus si cette mesure miraculeuse a permis que notre système sanitaire soit à même d’éviter une nouvelle hécatombe de séniors.
Ce qu’on sait, en revanche, c’est que les syndicats et la gauche en ont beaucoup rabattu sur leurs revendications. À part la CFTC, pour les raisons confessionnelles qu’on peut imaginer, plus personne n’a crié au vol qualifié en ce lundi 17 mai. Et pour cause. Depuis la mise en place de la « journée de solidarité », les « quelques aménagements » dont parlait Raffarin ont joué à fond la caisse. Résultat, j’espère que vous n’avez pas essayé d’aller chercher un recommandé à la Poste, ou de faire une demande de passeport biométrique en Mairie : toutes les administrations étaient fermées. Et même en rêve, ce n’était pas le bon jour pour déclarer un sinistre chez AXA ou bien pour parler à votre conseiller clientèle à la BNP. Fermées itou…
Les syndicats défendent les leurs et laissent choir les autres
De fait d’après les statistiques du jour, corroborées par un bref coup d’œil sur les terrasses de bistrots hier après-midi, quatre Français sur cinq n’ont pas travaillé ce lundi. C’était bien sûr la règle dans le public, et dans la quasi-totalité des grandes entreprises. Et qui sont les autres, ceux qui ont été solidaires malgré eux ? Ben, la caissière de chez Picard, le carrossier du garage du coin, le métallo de la petite boite de décolletage en Haute-Savoie, l’équipier de chez Mac Do, bref le smicard ou assimilé bossant dans une PME, la restauration ou le commerce. Par le plus grand des hasards il se trouve que, comme on dit dans la téléphonie, ce sont des zones à faible couverture syndicale. De là à imaginer que les syndicats ont défendu les leurs et laissé choir les autres, au gré des « aménagements », il n’y a un pas que nous franchirons sans ambages, puisque ce scénario est très exactement celui qui est en train de se réécrire, sous nos yeux et en temps réel, sur les retraites.
Mobilisation chevrotantes, protestations de principe, absence de propositions alternatives crédibles, je vous parie ma chevelure clairsemée contre celle de Bernard Thibaut que les confédérations ont déjà fait une croix sur la retraite à 60 ans pour tous. En échange de quoi, on ne touchera à rien, ou presque pour le secteur étatique et para-public. C’est de bonne guerre, me direz-vous, puisque c’est là où sont l’immense majorité des syndiqués. De bonne guerre, mais de courte vue. Parce qu’en abandonnant de fait les travailleurs les plus démunis, la gauche syndicale et politique ouvre un boulevard à l’adversaire. On a, de ce côté là, peut-être un peu trop vite oublié non seulement la Pentecôte, mais aussi la loi sur les 35 heures, perçue par les smicards et les prolos comme s’étant faite sur leur dos, au seul bénéfice des fonctionnaires et des bobos. On a aussi oublié, au passage, que ce sentiment d’avoir été largué par son camp n’est pas tout a fait étranger à l’exploit historique de Jospin le 21 avril 2002.
Je sais bien qu’en politique, dix ans, c’est dix siècles. Et que les mêmes causes ne produisent pas forcément les mêmes effets calamiteux. Mais on voudrait permettre à Nicolas Sarkozy de réitérer son hold-up de 2007 sur les travailleurs pauvres, voire à Marine Le Pen d’en tenter un, qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Salauds de pauvres !
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