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Le logiciel libre ne cotise pas chez Besancenot


Les philosophes étranglent leurs femmes. C’est dans leur nature. Dès que se présente à eux le moment opportun, on les voit refermer leurs paluches sur le cou de leur légitime. Vous voulez en avoir la preuve ? Souvenez-vous de ce qui fit Louis Althusser le 16 novembre 1980 dans l’appartement conjugal de la rue d’Ulm. Stupeur et tremblement !

Peut-on d’un événement singulier ou d’un phénomène marginal tirer une généralité ? Evidemment que non. En bonne logique, le particulier ne dicte jamais sa loi à l’universel. C’est pourtant ce que François-Xavier Ajavon s’est essayé à faire dans ces mêmes colonnes en voulant modéliser l’un ou l’autre épiphénomène (les facéties de Richard Stallman ou encore les Install party dans le Finistère) pour en conclure que le monde du logiciel libre serait une secte un peu bizarroïde, professant une idéologie de beatnik et communiant dans un même rejet du libéralisme et du marché.

Certes, il se trouve bien quelques esprits suffisamment bas du front pour proclamer que les logiciels libres sont une solution « citoyenne » et quasiment révolutionnaire, censée battre en brèche le capitalisme éhonté de ces ignobles sociétés qui osent commercialiser, elles, le fruit de leur travail… Il se trouve bien encore quelques proudhoniens sur le retour pour professer que « la propriété c’est le vol ». Seulement, appliqué aux logiciels libres, ce discours ne tient pas la route trente secondes.

Aux dernières nouvelles, personne n’a encore vu le très standard Tristan Nitot (Mozilla) déballer sa panoplie de garde rouge ni l’excellent Daniel Glazman (Disruptive innovations) faire la couverture d’Anti-Davos hebdo habillé en Che Guevara. Et ça fait même longtemps que personne n’a vu ces deux Stakhanov du logiciel libre en France turbiner au kolkhoze – que deviennent-ils d’ailleurs me demande, insistante, Marie-George Buffet[1. Nous contacter. On transmettra.]. C’est qu’en soi le logiciel libre n’est porteur d’aucune idéologie.

Ni José Bové ni Olivier Besancenot n’ont persuadé le ministère français de la Défense et celui de l’Intérieur de passer à Thunderbird et à Firefox. Ce n’est pas par altermondialisme forcené ni parce qu’il se serait subitement amouraché de Clémentine Autain qu’Hervé Morin a pris en début d’année 2008 la décision que l’administration de la Défense migrerait de Windows XP vers Ubuntu d’ici l’horizon 2013.

Le libre ne s’oppose pas au logiciel propriétaire ; ils répondent l’un comme l’autre à des modèles économiques qui leur sont propres. Dans le cas d’un logiciel propriétaire, le cas de figure est assez simple : une société dépose un brevet, commercialise un logiciel et prospère grâce à la vente de ce dernier. Pour le logiciel libre, les choses sont un peu plus complexes, puisque les revenus qu’il génère ne sont pas liés à la vente dudit logiciel. Ils peuvent concerner la prestation de services, l’assistance, la maintenance, la mise en place de fonctionnalités spécifiques, la formation, la vente de morceaux de code en vue de développer un logiciel propriétaire, etc. En bref, pour parler en maquignon, les développeurs du libre ne vous vendent pas la bête, mais vivent en s’occupant d’elle, en lui trouvant des pâturages plus gras ou en lui tricotant un manteau pour l’hiver. Les idées ne manquent pas quand on est maquignon ou développeur.

Si l’on veut bien y regarder de plus près, l’apparition du logiciel libre ces dernières années a réinscrit le marché des logiciels dans le libéralisme. Pas besoin d’avoir un poster de Friedrich Hayek au-dessus de son lit (de toute façon ce type a quitté depuis un bail Tokio Hotel) pour comprendre que la pire plaie dans une économie libérale c’est le monopole. Or, pour s’en tenir au seul exemple des navigateurs Internet, après la perte de vitesse de Netscape, Microsoft exerçait un quasi monopole avec Internet Explorer, jusqu’à ce que l’apparition de Firefox crée un véritable contexte concurrentiel.

Le logiciel libre est donc bien loin d’être un parangon de l’altermondialisme ou de la lutte contre les aliénations du système capitaliste. La cause est même un peu fichue pour José Bové : le logiciel libre n’est pas autre chose que le plus récent OGM du libéralisme. Pour reprendre ce qu’écrivait en 1980 Alvin Toffler (qui faisait déjà de la futurologie quand Jacques Attali commençait à se faire payer pour faire semblant d’en faire), il se pourrait même bien que le logiciel libre soit l’une des facettes du prosumérisme qu’il décrivait alors. Pour faire bref et ne pas enquiquiner ni le geek,, ni le nerd et encore moins le gerd (sont coriaces, cette race-là comme le dirait Zemmour), Toffler écrit qu’au consommateur, apparu avec la IIe Révolution industrielle, succéderait le prosumer, c’est-à-dire le consommateur qui contribuerait lui-même à produire ce qu’il consomme.

C’est exactement le cas dans la communauté du libre – ou plutôt dans les communautés du libre. Les développeurs y coproduisent ce qu’ils vont « consommer ». Et s’ils existent bien des communautés dans le sens le plus noble du terme, c’est là qu’elles sont : les gens ne s’y rassemblent pas pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font. L’aspect communautaire n’est pas exogène au logiciel libre, il lui est endogène : c’est l’accès au code source qui permet le développement du logiciel et c’est l’existence d’une communauté active de développeurs qui permet l’innovation maximale.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle causeur a adopté une solution libre : WordPress. Nous ne l’avons pas fait parce que nous nous étions convertis à l’altermondialisme, ni parce qu’Elisabeth Lévy s’était allumé un tarpé gros à virer beatnik, ni même encore pour des raisons financières – on n’est pas des radins. Si nous avons opté pour WordPress, c’est qu’à notre sens c’était la solution qui offrait, grâce à ses caractéristiques et à sa communauté très active de développeurs, le plus de potentialités.

Reste un problème : dans l’esprit du public comme dans celui de quelques confrères journalistes, le logiciel libre reste au mieux une aubaine (moins cher que gratuit, c’est pas cher) ou une version logicielle du piratage MP3 (si tu paies pas, c’est du vol et je taperai sur la tête jusqu’à ce que la fondation Bill Gates te juge suffisamment amoché pour t’aider). Il faudra donc du temps et un surcroît de pédagogie pour qu’ils comprennent de quoi il retourne réellement. Pour le reste, non, le monde du libre n’est pas une secte dont Stallman serait tout à la fois le dieu, le gourou et le prophète : il introduit un peu plus de concurrence dans un modèle voué il y a quelques années au monopole. Une économie n’est jamais libérale quand elle n’offre aucun choix. C’est comme ça, camarade, mais y a pas autrement.

Opposer le logiciel libre au logiciel propriétaire, c’est un peu comme opposer Mac et PC : les gens sont bien libres de choisir un Mac ou un PC. Deux logiques et deux modèles économiques se concurrencent, même si je suis d’avis qu’il faudrait envoyer définitivement à Sainte-Anne les utilisateurs de PC. Foi d’utilisateur de Mac !

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