Dans son roman de la rentrée, décrié pour ses thèses islamo-gauchistes ou ses dénonciations un peu calomnieuses, il y a tout de même du bon à prendre…
Avec Les derniers jours du Parti socialiste (Seuil), Aurélien Bellanger évite de faire de la rentrée littéraire une petite chose tout à fait à l’abri de l’ambiance politique du moment. Si certains ont voulu y voir un tract islamo-gauchiste, le roman a le mérite de proposer une fresque de la vie politico-médiatico-intellectuelle française des vingt dernières années, du 11 septembre à nos jours, stimulante bien que discutable.
Règlements de comptes
Tout ne respire pas la grandeur d’âme dans les choix d’Aurélien Bellanger. Il y a parfois un parfum de règlements de comptes. À la manière de Gérard Fauré, cet ancien bandit qui passe régulièrement sur les plateaux TV pour révéler les supposés vices de telle personnalité qui vient de disparaître, l’écrivain n’hésite pas à faire parler les morts, à leur prêter des intentions fascistes. Laurent Bouvet, décédé en décembre 2021, est le personnage principal du livre, où il figure sous le nom de Grémond. Il y est dépeint comme l’imam caché d’un laïcisme radical qui aurait étendu sa pieuvre au fil des décennies. Tout a commencé par le constat des petits arrangements de terrain faits avec l’islam à la fin des années 90, notamment dans sa ville de Créteil. Cela a abouti à la fondation du Printemps républicain, rebaptisé Mouvement du 9 décembre dans le livre. Les morts ne bronchent pas beaucoup, on peut leur faire dire et lire ce qu’on veut, par exemple leur prêter une passion pour la biographie de Charles Maurras, a priori pas très compatible avec la condition d’apparatchik du Parti socialiste. Le genre romanesque offre des facilités tactiques, et permet à l’auteur d’écrire des choses à demi vraies, d’autres totalement fausses, le tout sous le refuge de pseudonymes et de périphrases très transparentes. À l’instar de la lettre hebdomadaire de M. de Rastignac publiée dans Valeurs actuelles, il y a un plaisir pour le lecteur, il faut bien l’admettre, à repérer les indices pour deviner quel personnage contemporain l’auteur est en train de dépeindre… Celui-ci apparait d’ailleurs lui-même sous les traits d’un écrivain pas dénué d’une vanité ridicule, quittant un débat sur France Inter en larmes et en courant, puis fantasmant l’assassinat du président Macron lors de l’une de ses visites élyséennes, ou narrant carrément… son propre assassinat. Assez grotesque… L’autodérision permettra de pardonner beaucoup de petites vilénies.
N’est pas Houellebecq qui veut
Aurélien Bellanger avait dédié un essai à Houellebecq et s’est longtemps réclamé d’icelui, avant de prendre des distances – principalement pour des questions politiques. Non sans reconnaitre, au micro du Figaro, que l’auteur des Particules élémentaires était un romancier plus efficace que lui. Aurélien Bellanger a repris une bonne partie du non-style houellebecquien. L’aménagement du territoire ressemblait à une compilation de manuels de CAPES de géo, agrémentée de combines au sein des sociétés secrètes mayennaises. Les derniers jours du Parti socialiste donnent l’effet de fiches Wikipédia passées au mixeur. Sur le fond, le roman est l’antithèse de Soumission. Dans le livre sorti en 2015, Houellebecq imaginait la victoire d’un candidat musulman (relativement) modéré permise par une magouille des vieux partis politiques français résolus à barrer la route au Front National. Bellanger imagine à peu près l’inverse : le raidissement de toute une gauche intellectuelle commencée avec le 11 septembre, poursuivie avec l’affaire des caricatures et les dramatiques attentats, et qui débouche, dans l’imagination de Bellanger, sur une pure et simple interdiction de l’islam en France !
Le grand effacement
La grande absente de ce roman, c’est la droite, et plus encore la droite de la droite. Si Marine Le Pen devait attaquer notre auteur en justice, ce serait bien pour l’avoir fait complètement disparaître du récit des vingt dernières années. À lire Aurélien Bellanger, la droitisation du pays serait née à gauche, de la défense d’un laïcisme intransigeant ! Caroline Fourest, Raphaël Enthoven, Michel Onfray (qui, engagé dans la course à la présidentielle, se transforme en véritable Eric Zemmour, à la manière d’un bœuf qui se transformerait en grenouille, c’est tout de même assez drôle), Philippe Val, les saltimbanques de Charlie Hebdo, tous ont cédé aux (supposées) paniques morales. Et au-dessus d’eux, toujours, Laurent Bouvet, alias Grémond, turbo-chevènementiste nerveux… Dans la vraie vie, Laurent Bouvet fut un universitaire, membre du PS, à qui le parti avait refusé une investiture aux législatives de 2002. Dans le roman, il est le grand manitou du Parti, et fait et défait les carrières depuis son bureau aux affaires laïques puis devient le ventriloque du candidat Hollande en 2012. Quant au Printemps républicain, si dans la vie réelle, il n’a pas reçu la moindre investiture macronienne aux législatives (ni en 2017, ni en 2022), dans le roman, il prend les traits d’une sorte de charbonnerie de hauts-fonctionnaires assez tentaculaire (presque le pendant des Frères musulmans, aux ramifications tout aussi souterraines), qui aurait abattu de l’intérieur le Parti socialiste. On se met à plisser des yeux et l’on se dit : « Si seulement tout cela avait été vrai ».
Aurélien Bellanger continue sa promenade dans les sociétés secrètes et les profondeurs de l’État. Son ouvrage est-il un tract LFI ? Certes, le livre s’en prend au camp laïc. On entend cependant çà et là quelques critiques adressées, à une nouvelle gauche, très gender studies, très américaine, à la fois puritaine et progressiste, adoratrice du hijab et des transitions de genre. Le roman a donc au moins le mérite de chercher à « définir l’esprit d’une époque ».