Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer nos lanternes !
Et voilà. Le boss du Musée de l’histoire de l’immigration, racialophile qui s’est découvert « noir sur le tard » (Libé dixit), secondé par une Défenseuse des droits, a rendu son Rapport sur la diversité à l’Opéra national de Paris. Méthode en 60 pages pour guérir ce grand corps trop pâle. « L’Opéra national de Paris n’est pas un lieu de diversité. Disons-le franchement : dans l’ensemble, c’est un monde blanc fort éloigné de ce à quoi ressemble la société française contemporaine. »
Répertoire blanc, ballet blanc, orchestre blanc, bureaux blancs. À cause de quoi on s’y grime. Triste souvenir du « blackface », caricature d’artistes noirs par des chansonniers blancs dans ces minstrel shows qui faisaient rire les ségrégationnistes. Américain, le blackface ? Pas du tout, assurent les rapporteurs. « Il trouve son origine dans la Commedia dell’arte avec le personnage d’Arlequin, ce valet bouffon stupide, paresseux et menteur, affublé d’un masque noir. » Masque et maquillage, poubelle. Jaunes, blancs, noirs, comiques, tragiques, exotiques, vous les voyez ? C’étaient des accessoires de théâtre. Abracadabra, ce sont des insultes. Roberto Alagna en Othello et Michel Leeb en Banania, même combat.
Passons le reste du rapport, propagande floydotraoriste sur le racisme systémique, déroulée au pas de charge faute de temps par deux amis qui nous veulent du bien. Dommage ! Dommage parce que les ballets kitschissimes du regretté Noureev sont un vrai sujet. Comme est un vrai sujet l’absence de musiciens « issus de la diversité » dans nos orchestres, Opéra compris. Sujet, pas procès. Le non-vivre-ensemble dans l’orchestre est-il un règlement administratif ou un tort partagé ? En banlieue, « demandez à des enfants qui n’ont pas grandi avec cette musique, ils vous décriront un corps étranger, un truc pour “les autres” » : ce sont les enfants qui ne veulent pas (et c’est l’authentique mélomane Lilian Thuram qui le dit).
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Dommage, dommage. Énième rapport pour rien. Rangeons-le. Mais avant, deux mots. Premier mot : les rapporteurs dressent une liste de personnalités qui « pourraient être valorisées », parmi lesquelles évidemment la soprano martiniquaise Christiane Eda-Pierre, mozartienne en titre (mais pas que) du palais Garnier dans les années 1970-1980. Gloire nationale et internationale disparue le 6 septembre dernier. Peu avant le rapport, Notre Président Macron recevait d’un « conseil scientifique » choisi par l’Élysée une autre liste. La liste des personnalités « qui ont rendu service à la République ou ont contribué à la richesse et à la diversité de notre histoire », que nos bâtiments publics ou nos rues s’honoreraient d’honorer, honneur auquel l’origine ou la couleur font obstacle. 318 noms de Berenice Abbott à Émile Zola. Pas de Christiane Eda-Pierre. Nos vigiles accusent l’Opéra de mésestimer sa valeur, et en même temps, au palais, tout le monde s’en fout.
Deuxième mot. Anthony, 11 ans, aime à la folie le ballet classique. Mais qui s’intéresse aux entrechats d’un élève perdu dans une petite école de la côte nigériane ? Anthony réalise donc une vidéo devant chez lui, à Lagos, sans musique, sur le béton, sous la pluie (tapez « anthonynigeria »). Solo si gracieux qu’il dépasse en quelques jours les 300 000 clics. Une ancienne étoile de l’American Ballet le trouve, lui obtient une bourse, et voilà Anthony dans l’avion de New York. Hollywood a déjà un scénariste sur le coup. Mais qu’attend l’Opéra de Paris ?