Le plénum du comité central du Parti communiste chinois se termine à Pékin dans une ambiance particulière. L’attention des médias est retenue par les éléments de langage savamment distillés par l’agence Chine Nouvelle et Le Quotidien du Peuple, les organes de presse proches du pouvoir. Ordre du jour de l’assemblée plénière: “l’autorité de la loi”. On trouve mieux comme slogan marketing mais au moins on comprend que le but n’est pas de “réanchanter” le rêve chinois ou de lutter contre notre ennemi la finance.
Derrière la propagande un peu vieux jeu du parti unique, se joue une partie plus subtile mais non moins féroce. La restauration de l’autorité de la loi va se concrétiser par l’humiliation publique de Zhou Yongkang, l’ancien mentor de Bo Xilai. L’ex-rival de Xi Jinping tombé en 2013 était parrainé par cet ancien membre permanent du Politburo, où il était l’équivalent de notre ministre de l’Intérieur parmi les “huit immortels”. C’est lui qui a été désigné comme bouc émissaire du comité central. La longue tradition d’épuration chinoise veut que l’Empereur offre au peuple la tête d’un grand seigneur. Ironie du sort, cet ancien chef des services de sécurité s’était érigé lui aussi en héros de la lutte anti-corruption (avec Wang Lijun et Bo Xilai) au prix de nombreuses purges dans l’appareil. Au sein de la nomenklatura chinoise des princes rouges, les héritiers des compagnons de Mao et Deng Xiaoping se savaient dans le collimateur. Une lutte anti-corruption inquiétante pour les familles de Wen Jiabao et Xi Jinping, dont les fortunes sont estimées à des centaines de millions d’euros (dont une bonne part est à l’abri dans des paradis fiscaux). Cela méritait bien un petit recadrage interne et un rappel à la loi… du parti.
L’ascension de Xi Jinping et la chute de Bo Xilaï ont ainsi été interprétées comme une riposte de Jiang Zeming et des princes rouges de Shanghai pour faire cesser les révélations de scandales de corruption au plus haut niveau. Toutefois la séance d’autocritique du PCC pourrait avoir un autre objectif qu’une simple opération de blanchiment politique.
Les oligarques communistes, au-delà de cette subtile manœuvre d’appareil, sont marqués par la révolte de Hong Kong. L’origine du mouvement de Hong Kong est précisément le ras-le-bol de la corruption de la police et du gouvernement local et la mise en œuvre d’une vraie démocratie. Il s’agit pour Pékin de le contenir au plus vite en affichant la détermination du pouvoir central à lutter contre le népotisme.
Pour Pékin, la tête de l’ancien responsable des services de sécurité sera un trophée pour amadouer Hong Kong la libérale. L’annonce en fanfare de la lutte contre la corruption au sein du PCC et la vague promesse d’un Etat de droit seront une carte supplémentaire dans les négociations en cours entre les étudiants et les autorités de la cité financière.
L’art de la guerre de Sun Zu apprend aux stratèges chinois qu’il est préférable de vaincre sans combattre. Les leçons de Tiananmen ont été tirés. La révolution dite des parapluies a été gérée de main de maître par Pékin: peu de gaz lacrymogène, usage limité du casque et du bâton, des policiers en chemisettes et gilets jaunes et bien sûr pas de chars d’assaut. Dès lors l’Occident a peu d’images de violences à exhiber. À défaut de bavure policière qui ferait tout dégénérer, la révolution est en train de pourrir sur place. À l’usure, le mouvement s’essouffle et le pouvoir chinois cherche à pousser son avantage.
Une stratégie tout en douceur d’autant plus habile que l’Europe et l’Amérique jettent un voile pudique sur les événements de Hong Kong. Laurent Fabius qu’on a connu plus incisif a dit espérer “qu’un dialogue constructif et pacifique [permette] un accord qui soit conforme à la loi fondamentale de Hong Kong ». On sait bien que l’ingérence se paye cash dans l’Empire du Milieu. Diplomates et politiques, d’habitude si bavards sur la démocratie, préfèrent se pencher sur Ebola, c’est moins risqué que de hausser le ton à Hong Kong pour défendre les étudiants.
Officiellement, Pékin se garde bien d’intervenir directement dans le conflit hong-kongais et reste en arrière-plan. L’assimilation en douceur de l’ancien comptoir britannique est un préalable absolu à la réintégration de Taïwan. Réunification chinoise dont l’enjeu stratégique est le désenclavement de la mer de Chine; actuellement sous contrôle de la marine américaine.
*Photo: kyodowc121388.JPG k/NEWSCOM/SIPA.SIPAUSA31316664_000001
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