Notre chroniqueur, enthousiasmé par l’ordre qui règne dans l’archipel nippon, en arrive à recommander l’adoption par la France de pratiques qui règlent effectivement la plus grande part de la délinquance ordinaire, y compris celle des mineurs, mais choquent évidemment notre sens inné de la justice et du respect des droits des criminels, auxquels nos magistrats sont si attachés…
Sans doute vous rappelez-vous le fameux film de Vittorio de Sica (1948), chef d’œuvre du cinéma néo-réaliste, où un pauvre prolo italien se fait voler la bicyclette qui lui aurait permis de se rendre sur son lieu de travail, et finit par tenter d’en voler une autre.
Rien de ça au Japon. Les bicyclettes (nombreuses, et généralement non électriques, le Japonais pédale pour de bon) sont rarement attachées, parce qu’elles ne sont pas volées. Il n’y a pour ainsi dire pas, même dans une ville gigantesque comme Tokyo, de délinquance ordinaire, celle qui fait rager le Français tous les jours. Pas de revendeurs de cigarettes à la sauvette, pas de vol à l’arraché, pas même de fraude dans le métro — où aucun portillon ne vous empêcherait de passer.
Plusieurs raisons à cet état de fait.
Un pays où l’on respecte les règles
D’abord, le Japonais est éduqué. Il respecte les consignes, ne se vautre pas sur les banquettes réservées aux infirmes et aux femmes enceintes, n’écoute pas de la musique à fond en public, ne fume même pas en marchant — il y a des espaces clos, dans la rue, pour fumeurs, et même pour fumeurs de cigarettes électroniques. Du coup, pas un mégot par terre, pas un chewing-gum — et personne ne s’aviserait de cracher dans la rue.
À l’école, j’ai eu l’occasion d’en parler l’année dernière, il est en uniforme, ne sort pas intempestivement son portable qui reste au fond de son sac, il respecte ses maîtres et objectivement, il a l’air très heureux de ces contraintes.
Ensuite, il y a la Loi…
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Tout délinquant arrêté en infraction est passible, dans un premier temps, d’une garde à vue de 23 jours, pendant lesquels vous n’avez pas le droit de passer un coup de fil (la police s’en charge), on vous nourrit de trois bols de riz par vingt-quatre heures, vous dormez sur une natte, et vous ne pouvez recevoir de visite qu’une fois par semaine, en présence de la police, et à condition de parler japonais — ce qui handicapa considérablement Carlos Ghosn, dont l’épouse n’articulait pas un mot.
Cette garde à vue peut être rallongée quasi indéfiniment, car les motifs d’inculpation sont découpés en tranches fines, et chaque nouvelle charge remet 20 jours dans le compteur.
De surcroît, pendant cette garde à vue où on vous incarcère dans des Daiyō kangoku, centres de détention gérés par la police, vous êtes interrogé, et souvent d’une manière assez brutale, 12 heures par jour. Les flics nippons ont à la main soit de courtes matraques, soit de grands bâtons du type boken — avec l’entraînement adéquat. Amnesty International, qui trouve tant à redire à la façon dont on traite en France les étudiants qui soutiennent le Hamas, a protesté maintes fois sans que cela émeuve qui que ce soit dans l’archipel.
Au bout de cette garde à vue, qui de fait peut durer des mois, la seule façon de vous en sortir est d’avouer. On a appelé cela la « justice de l’otage ». Sûr que tout le monde n’a pas les moyens de s’enfuir dans une sacoche rigide de contrebasse…
Les sauvageons savent à quoi s’en tenir
Quand il s’agit de mineurs (de 14 à 20 ans), la garde à vue ne peut être que de 3 jours, éventuellement prolongés de 10 — avec traitement approprié. Puis le jeune est expédié dans un kanbetsusho, centre de rétention où il subit pendant un mois divers tests visant à cerner sa personnalité. À l’issue de cette période d’un confort très relatif (lever à l’aurore, marche au pas, obéissance et silence absolus), le juge aux affaires familiales prend la mesure qui lui paraît la plus appropriée : période de probation à domicile avec convocation pour un entretien de contrôle une fois par mois, envoi dans un centre de vie en collectivité très encadrée type internat, envoi en maison de correction (shônen in), cadre plus rigoureux, plus proche d’une prison.
Et là, écoutez bien : dans tous les cas, la durée n’est pas fixée à l’avance car il ne s’agit pas de sanctions mais de mesures éducatives. Tout dépend de l’évolution constatée du jeune. La mesure se termine quand on considère que le jeune s’est suffisamment amendé.
Ils sont pleins d’humour, ces Japonais…
Alors forcément, ça calme.
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Une source d’inspiration pour nous Français ?
La Justice française répugnera sans doute à s’inspirer de pratiques étrangères, aussi efficaces soient-elles. Faisons donc une suggestion.
Chaque jour on entend parler de multirécidivistes. Et pourquoi ne le seraient-ils pas, les juges devant lesquels ils passent les condamnant en gros à des stages poney ? Les deux énergumènes qui ont cassé la figure à deux couples (plus un passant qui s’était porté à leur secours) à Nice il y a quelques jours ont été libérés par la police.
Pourquoi ne pas instaurer un système de points, comme pour le permis ? Quand tu as épuisé ton quota, on s’en prend directement à la prime de rentrée scolaire ou aux aides sociales. Il s’agirait de déléguer réellement aux parents, dont c’est le boulot, la surveillance et la répression de leur petite canaille… Nous connaissons tous des multirécidivistes routiers que la perspective de perdre les deux derniers points assagit soudain. Frapper au portefeuille est aussi efficace, et moins voyant, que les torgnoles policières, qui de fait sont interdites depuis des années.
Nous connaissons bien sûr des malfrats qui roulent sans permis ni assurance. Ma foi, dans ce cas, la police japonaise, qui est très inspirée des pratiques américaines, n’hésite pas à tirer. Et les juges — et l’opinion publique — lui donnent raison.
Mais c’est une hypothèse d’école : cela ne se produit pas, dans l’archipel nippon.
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