Il aura fallu attendre juillet 2013 pour que le Hezbollah, organisation politico-militaire tenant la communauté chiite libanaise d’une main de fer, soit inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne. Et encore pas totalement : seule la branche armée du « parti de Dieu » se voit clouée au pilori par Bruxelles, et passible des sanctions associées, alors que l’imbrication totale des structures politiques et militaires de cette organisation est un fait avéré, reconnu et célébré par ses dirigeants. Laurent Fabius a justifié ce distinguo baroque en affirmant, avec tout le sérieux et la gravité qu’on lui connaît : « La solution est pertinente, car le Hezbollah est l’une des composantes du gouvernement libanais. Or nous voulons un Liban stable. » Imaginons que la mafia sicilienne ait choisi comme stratégie d’entrer ouvertement dans le jeu politique italien, plutôt que de chercher à l’influencer par la bande, qu’aurait-on pensé de l’attitude consistant à ostraciser les porte-flingue et à faire des risettes aux parrains ?
Ceux qui s’accrochent à la fiction de la double nature du Hezbollah, parti politique respectable côté face et officine terroriste côté pile, devraient au plus vite se plonger dans le bref, mais percutant livre d’Yves Mamou, ancien journaliste au Monde. On y découvre, au fil d’une enquête fouillée, toutes les ramifications du système militaro-clientéliste d’une organisation, fondée en 1982 au plus fort de la guerre civile libanaise, devenue, au fil des ans un acteur majeur de la scène politique proche et moyenne-orientale. La communauté chiite du Liban, délaissée et méprisée par les élites politiques et économiques chrétiennes et sunnites du pays du Cèdre, a profité de la victoire de la révolution islamique iranienne pour prendre sa revanche. Peu a peu, les « barbus » du Hezbollah évincent les notables chiites incompétents et corrompus qui régnaient sur la communauté. Grâce à l’argent et aux armes fournis par Téhéran, ils assurent aux déshérités de leur confession le minimum de services sociaux, éducatifs et sécuritaires que l’Etat libanais leur refuse, en échange d’une allégeance inconditionnelle et fanatisée.
Le Hezbollah se charge, de surcroît, des basses œuvres du régime des mollahs, notamment des actions terroristes contre la France pour exiger le remboursement d’un prêt accordé par le Shah dans le cadre d’un accord franco-iranien sur la fourniture de combustible nucléaire : enlèvement de journalistes français au Liban, attentats à la bombe à Paris et les casques bleu français à Beyrouth (53 morts) sont à mettre à son actif. Aujourd’hui, auréolé de sa « victoire » de 2006 contre la tentative israélienne d’éradiquer les forces du Hezbollah du sud-Liban, l’organisation est sur tous les fronts de la guerre sans merci que se livrent les chiites et les sunnites en Irak, en Syrie et au Liban. Il semble que ses derniers exploits terroristes (attentats à la bombe en Bulgarie et à Chypre en 2012) aient enfin contraint les Européens à une réaction, un peu molle, certes, mais il y a un début à tout.
Comme les sanctions occidentales imposées à l’Iran entravent le financement illimité de ses activités par Téhéran, le Hezbollah est devenu un acteur majeur du trafic de drogue à l’échelle mondiale, notamment grâce à ses relais, hommes d’affaires libanais installés en Afrique et en Amérique latine. Tout cela était connu, notamment des institutions internationales chargées de la lutte contre ces trafics, mais on préférait, chez nous, peindre le Hezbollah aux couleurs avenantes de la « résistance » au monstre israélien, et d’une formation politique respectueuse du système démocratico-confessionnel libanais.
À l’instar de la diplomatie française, qui a depuis trois décennies fait montre d’un étrange mansuétude à son égard, la presse et l’édition de notre pays se sont bien gardées de faire des enquêtes, ou de publier des livres mettant en lumière ce réseau criminel et mafieux. Au contraire, ce sont des auteurs dont on découvrira plus tard la connivence, pas seulement intellectuelle, avec ces terroristes, qui eurent les honneurs d’une publication hagiographique par une grande maison d’édition (Fayard), bénéficiant de recensions élogieuses dans les grands médias. Et Yves Mamou, qui s’était vu refuser, en 2006, la publication d’une enquête sur le financement du Hezbollah par le journal qui l’employait alors, a dû attendre la retraite, et le courage d’une petite maison d’édition, pour rendre publiques ses investigations.
Hezbollah, dernier acte, Yves Mamou, éditions Plein Jour, 2013.
*Photo : Bilal Hussein/AP/SIPA. AP21483647_000003.
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