Plus qu’une déroute des services israéliens, l’opération terroriste du 7 octobre est un succès des services secrets du Hamas. L’analyse d’Harold Hyman.
Le désastre infligé par le « Déluge Al-Aqsa » est présenté depuis le début comme une défaillance des services secrets israéliens, alors que l’on pourrait postuler qu’il s’agit d’une victoire des services du Hamas. Certes le Mossad, le Shin Bet et l’armée ont clairement manqué le signal du déclenchement de l’opération-massacre, mais le Hamas a trouvé quasiment toutes les failles dans les défenses israéliennes, ce qui est prodigieux.
Comment les services secrets du Hamas ont-ils pu être d’une si grande efficacité?
Les travaux de Netanel Flamer
Il y a des milliers de livres et d’études sur les services israéliens, le mythique Mossad en tête, mais sur les services secrets du Hamas, il n’y pas de monographies accessibles, en français ou en anglais. Quelques allusions çà et là sur le succès des services du Hamas remontent à la surface depuis le 7 octobre, sans plus.
Cependant le travail d’un chercheur israélien nous éclaire. Dans un article du International Journal of Intelligence and Counter-Intelligence, l’auteur, le jeune universitaire Netanel Flamer, rattaché au Begin-Sadat Center for Strategic Studies, se penche sur la mise en place d’une stratégie de contre-espionnage hamasienne.
A lire aussi: Hamas: Barbarie, mode d’emploi
D’abord, l’organisation du Hamas a une branche dite militaire, appelée Al Majd, fondée en 1987 par le célèbre religieux sunnite en chaise roulante, Cheikh Yassine, pour traquer les infiltrés parmi ses rangs. La méthode était rodée car le Shin Beth utilisait la méthode classique de l’infiltration, souvent en arrêtant des espions du Hamas et en les transformant en agents doubles. Le génie d’Al Majd a été d’utiliser ses propres agents retournés par les Israéliens afin de les réutiliser contre les Israéliens eux-mêmes, et à l’insu de ces derniers. Généralement la difficulté d’utiliser des agents double réside dans le doute permanent sur leur loyauté ultime. Les services du Hamas n’ont pas semblé avoir ce problème, et leurs centaines d’agents doubles, noyés parmi bien d’autres agents réellement retournés par Israël, ont permis de comprendre le fonctionnement et les priorités mêmes des services israéliens. Le Hamas a joui d’un deuxième avantage lorsqu’il prit le pouvoir à Gaza : il hérita de l’infrastructure du Fatah appelée Internal Security Force, abandonnée lors du repli du Fatah en 2007. Dans ces conditions, il est étonnant de voir combien les services israéliens se fiaient à leurs indicateurs pour pister les chefs du Hamas. Telle est la thèse de Flamer.
Agents doubles et double-jeu diplomatique
En dehors du dossier de l’espionnage, le Hamas a utilisé la ruse diplomatique à un degré très élevé pour désarmer Israël. Les négociations entre Israël et le Hamas début 2023 pour rouvrir partiellement les frontières de l’enclave avaient donné une impression de dialogue possible. La nourriture et les médicaments pouvaient de nouveau passer. Aussi était-on en train de négocier le transfert de fonds qatariens à la bande de Gaza, et 20 000 Gazaouis travaillaient en Israël. Le Hamas a donné l’impression d’être sensible aux bienfaits de la gouvernance normale. Psychologiquement, côté sécuritaire israélien, c’est ce que l’on avait pu croire. Les préoccupations majeures étaient plutôt la force du Hezbollah, l’arrivée d’éléments de la brigade Al-Quds en Syrie, et la radicalisation et l’atomisation des groupes de miliciens terroristes de la Cisjordanie. Le Fatah sur le terrain devenait une nébuleuse sans lien hiérarchique avec Mahmoud Abbas.
Tout cela a été compris par le Hamas, qui n’est certes pas au pouvoir en Cisjordanie mais qui n’y manque pas de relais ni de sympathisants. Ainsi l’on peut conclure que le Hamas a saisi ce qui se rapportait au pouvoir israélien dans l’optique de Déluge d’Al Aqsa. Résultat sur le plan sécuritaire : un certain délaissement de la frontière.
La nation israélienne fait bloc, malgré les divergences politiques
Le Hamas n’aura cependant pas appréhendé avec justesse le climat politique en Israël, et c’est sa faille. Sur sa page du Begin-Sadat Center for Strategic Studies, Netanel Flamer le relève : le fait que des réservistes israéliens aient annoncé leur intention de ne pas se présenter à leurs postes en cas de révision de la constitution informelle israélienne, concernant l’asservissement des juges à la suprématie gouvernementale, a donné l’impression que l’armée se débandait. Ainsi affaiblie, l’armée protègerait moins bien ses citoyens, selon le Hamas. Ironie du sort : l’opération « Déluge d’Al Aqsa » est devenue l’occasion de ressouder les Israéliens.
Certes les services secrets israéliens, et la nébuleuse sécuritaire du système israélien, vont trouver les raisons de leur faille. Peut-être aussi que les Israéliens en particulier, et les Occidentaux en général comprendront ce que le Hamas espère véritablement accomplir, c’est-à-dire le chaos généralisé et sanglant. Car s’il gère Gaza, le Hamas provoque aussi la destruction d’une grande partie de ce territoire sous sa houlette, ce qui n’entre dans aucune logique occidentale. L’affrontement final sera purement militaire, Israël ne pourra être défait, et les Gazaouis perdront toute possibilité de vie normale. Mais l’armée israélienne n’a pas compris le fonctionnement de son ennemi, désormais principal, le Hamas, qui s’accommode bien de la destruction. Lorsqu’elle le comprendra, ce qui restera du Hamas aura-t-il eu le temps de se restructurer ? Sans doute que non. Les civils auront énormément souffert de cette guerre. En 1973, quasiment aucun civil n’a été tué et une paix partielle en est sortie – issue impossible cette fois-ci.