Un livre nous raconte comment nous en sommes arrivés à une véritable civilisation de froussards
Ils s’y sont mis à trois. Andrea Marcolongo, journaliste italienne. Patrice Franceschi, écrivain, aviateur et marin. Loïc Finaz, amiral et ancien directeur de l’Ecole de guerre. Dans un court livre (Le goût du risque, 144 pages, 2023) publié chez Grasset, ils défendent le goût du risque, une vertu démodée qui, comme toutes les vertus démodées, passe pour un vice.
Jacques a dit : « Confinement » !
Dans le livre, ils opposent les défenseurs de la sécurité à tout crin aux amoureux de la liberté. Ces derniers, dans le débat des idées, dans la vie quotidienne, perdraient du terrain chaque jour. « En ces temps post-héroïques de l’Occident », « les uns voient la liberté comme une simple option sur le marché de l’existence, les autres la considèrent comme l’unique valeur capable d’irriguer toutes les autres pour leur donner sens – et en cela, elle est sacrée ». Cela nous ramène au choix qui se présente au jeune Achille, dans l’Iliade, qui décide de cocher la case « vie courte mais intense » au détriment d’ « existence morne et obscure ».
Pour les auteurs, le moment paroxystique de cette mentalité sécuritaire fut la crise du Covid. Il est vrai que ce fut pour ceux qui nous gouvernent un grand moment de « Jacques a dit », entre les verres que l’on devait boire assis et autres consignes à dormir debout. S’il fallait faire des objections pour le seul plaisir d’être casse-pied, on pourrait répondre, dans cette opposition entre sécurité et liberté, que certains de nos voisins, les Suisses en premier lieu, peuvent être tout à fait jaloux de leur haut niveau de liberté politique tout en ayant une attitude peu nerveuse volant en main. Quand les auteurs écrivent : « Il faut révoquer la crainte de la mort et voilà tout », on a envie de répondre, avec Woody Allen : « Tant que l’homme sera mortel, il ne pourra pas être complètement décontracté ».
C’est pour notre bien
L’ouvrage nous raconte comment nous en sommes arrivés à cette civilisation de froussards. A l’échelle de la France, le second mandat de Jacques Chirac constitua certainement une étape décisive. On se souvient que lors de la traditionnelle interview du 14 juillet, en 2002, il s’était mué en « super secrétaire d’État » aux transports afin de faire figurer la sécurité routière parmi les trois principaux chantiers de son quinquennat. C’est aussi au cours de ce mandat, sous l’influence de Nathalie Kosciusko-Morizet, que le principe de précaution fit son entrée dans la constitution, via la Charte de l’environnement. Une traduction du « principe responsabilité » défendu par Hans Jonas dans les années 70. Le philosophe allemand en était venu à défendre, au nom de l’écologie, les vertus des régimes communistes, lesquels étaient capables d’imposer des mesures contraignantes (dictature oblige) à leur population. C’est ce principe qui a poussé les Allemands à fermer leurs centrales nucléaires, et les Français à renoncer à leur gaz de schiste. Avec de tels principes, les caravelles espagnoles et portugaises seraient restées à quai au XVème siècle. C’est ce qu’écrivent les auteurs : « S’ils se l’étaient imposé, les Vikings n’auraient jamais quitté leurs fjords, Magellan serait resté à Porto et Christophe Colomb à Gênes. Newton ne se serait même pas risqué à faire sa sieste sous un pommier. Neil Armstrong n’aurait jamais qualifié son petit pas de bond de géant pour l’humanité. Chartres, Reims et Amiens ne s’enorgueilliraient pas de leurs cathédrales, ni Paris de sa Tour Eiffel ».
Alors, au moment où le président du Sénat Gérard Larcher s’inquiète, à juste titre, que la constitution devienne un catalogue de droits, il serait bon d’aller jeter un œil dans quelques-unes des dérives de ces dernières décennies et d’en retirer quelques principes superfétatoires.