Dans une échappée littéraire, à la fois romantique et fantastique, publiée au Mercure de France, Antoine Gavory a sélectionné des textes d’écrivains qui nous parlent des châteaux, de leur onde féérique ou maléfique.
Quel déshonneur d’être né dans un village ne possédant pas de châteaux ! Infamie impardonnable pour l’enfant berrichon que j’étais. Partout ailleurs, sur la route Jacques Cœur, presque toutes les cités s’enorgueillissaient d’une bâtisse flanquée d’une tour ou d’un jardin à la française, d’un parc arboré ou de meurtrières assassines, d’un prince généreux ou d’un marquis peau de vache. Et chez moi, rien que la litanie des habitats anonymes, pavillons défraîchis et matériaux sans noblesse, large étendue des classes moyennes en voie de décrochage, pas une douve à l’horizon, même pas une histoire sordide ou terrifiante à raconter à la veillée aux enfants turbulents sur des seigneurs forcément monstrueux.
Une France qui a de l’allure
Les châteaux sont le drapé de la France, le manteau d’hermine des terres hostiles, la joliesse des bourgs sans caractère, l’identité des départements abandonnés, les éperons d’un pays qui n’a pas encore succombé à la bétonnisation et aux folles éoliennes. Sans leur présence, la France perdrait son allure et son mystère, peut-être aussi une part de son histoire littéraire. Car, le château est le meilleur allié ou ennemi de l’écrivain, il y fixe sa narration, s’en sert de punching-ball pour exprimer sa rage sociale ou s’adosse à lui pour se laisser porter par la rêverie, se souvient d’une belle endormie à l’ombre de l’adolescence ou d’un plafond de verre où se heurtent les ambitions des Hommes mal nés. Le château est le pompon du manège, son attraction est telle que les gagnants du loto y succombent dès leur premier achat, avant même la voiture de sport allemande ou ce camping-car américain long comme un yacht monégasque. Il condense nos frustrations et creuse notre enracinement. Il est aussi une affaire d’État sensible. Stéphane Bern veille sur lui.
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On adore détester les propriétaires de belles demeures tout en enviant leur train de vie, supposé somptuaire et déviant. Notre égalitarisme ne le supporte pas. Le château, persistance de l’Ancien Régime, corolle de la paysannerie, couronne d’aubépines que les révolutions n’ont pas réussi à enflammer, vient rompre la monotonie de certains paysages. Même les trous dans les toitures sont l’objet d’une indemnisation complexe et houleuse, un système d’aides qui révèle la versatilité d’une administration, hésitant entre la carotte et le coup de bâton. Enlevez les châteaux et c’est tout un patrimoine qui se meurt ; le roman, la poésie, le conte, la fable, le polar ou l’uchronie ne se relèveraient pas d’une telle amputation. « Peut-être parce qu’il est l’incarnation du triomphe, du rêve et que plus que tout autre construction humaine, il donne à l’imaginaire une nourriture inépuisable : qui n’a pas rêvé d’un château ? » avertit Antoine Gavory dans son introduction.
Tapisserie millénaire
Toujours inspiré dans ses recherches pour la collection « Le goût de… » au Mercure de France, le Nivernais nous surprend par sa sélection originale, il n’a pas enfilé un heaume pour piocher à l’aveugle dans les sources de la littérature. Ce disciple d’Alphonse Allais est libre. Il refuse le scolaire et le prévisible ; il ne se contente pas de compiler à la va-vite les très (trop) nombreux auteurs qui ont écrit sur le sujet, il emprunte les chemins de traverse, s’amuse des cohabitations étonnantes, on trouvera aussi bien Jean Nohain que Charles Péguy, Houellebecq que Jean d’O, Jules Verne que Julien Gracq. Son goût des châteaux aux inspirations ligériennes, se savoure, à la fainéante, une main sur le volant d’une Peugeot 204, l’autre à l’air libre, ballotée par les vents, sur une route bordée de platanes, en ce début d’automne ou, au milieu des vignes, à Pouilly ou à Saumur, dans un coin de France qui n’a pas tourné le dos à sa singularité.
Avec Gavory, la province n’est pas honteuse, elle n’avance pas masquée, on loue ses vertus et la dentelure de ses créneaux. Et puis, quel plaisir, de lire ces quelques lignes d’Yves Charnet, l’enfant terrible de Nevers : « Votre manoir est devenu le musée d’une imposture grandeur nature. Les murs secrètent leurs secrets de famille. Je songe à ces mensonges dont toutes les fondations sont rongées ». Comment rester insensible au Grand Meaulnes, ce frère de lait et l’évocation subliminale de l’Abbaye de Loroy, songe de mon enfance, à la veine pamphlétaire de Claude Tillier, l’écorché de Clamecy ou à la défense de Versailles portée en étendard par Guitry. De Saint-Fargeau au château de la Buzine qui a créé la polémique cet été, Gavory promène son érudition et nous dévoile une tapisserie millénaire.
Le goût des châteaux – Mercure de France – Textes choisis et présentés par Antoine Gavory
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